M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans le climat de contestation générale du multilatéralisme, les règles du commerce mondial n'échappent pas à la tendance. De l'America First de Donald Trump aux aides d'État de Joe Biden, les États-Unis semblent s'en affranchir de plus en plus.
Étendard historique du libre-échange à la fin du siècle dernier, les États-Unis seraient-ils tentés par l'isolationnisme économique ? Avec l'Inflation Reduction Act, ils renouent en tout cas avec son ancienne doctrine protectionniste visant à protéger ses industries naissantes. Au travers de ce fameux IRA, l'Oncle Sam s'apprête à déverser 369 milliards de dollars de subventions aux entreprises qui investiraient dans la transition verte sur le sol national.
La bonne nouvelle, vous l'indiquez, madame la secrétaire d'État, c'est que les États-Unis confirment avec ce plan qu'ils ont pris la mesure de l'urgence climatique.
La mauvaise, c'est qu'ils nous ont vendu pendant des décennies le concept d'une « mondialisation heureuse », pour aujourd'hui jouer leur propre partition de relocalisation.
Comme vous le savez, mes chers collèges, l'IRA inquiète nos entreprises, nos territoires et les pouvoirs publics. Après l'épreuve de la pandémie qui a affecté notre économie, puis celle de la guerre qui renchérit le prix de l'énergie, le projet américain pourrait en effet fragiliser un peu plus le tissu industriel européen.
Depuis l'annonce américaine au mois d'août dernier, on entend que Saint-Gobain voudrait s'agrandir en Californie, que Volkswagen augmenterait ses capacités de production de l'autre côté de l'Atlantique, tout comme le fabricant suédois de batteries Northvolt.
Madame la secrétaire d'État, avez-vous quelques éléments précis concernant les groupes français qui seraient tentés par le nouveau rêve américain ?
En attendant, comme nous y invite ce débat, il nous faut nous interroger sur les réponses que l'Union européenne peut apporter à ces mesures protectionnistes. Le Conseil européen du mois de décembre dernier a bien souligné « la nécessité d'une réponse coordonnée pour renforcer la résilience économique de l'Europe et sa compétitivité sur le plan mondial, tout en préservant l'intégrité du marché unique ».
Pour ce qui est de la réponse coordonnée, on peut avoir une inquiétude au regard des positions divergentes de certains États membres en fonction des propositions avancées par Bruxelles. Cependant, je me réjouis que Paris et Berlin s'entendent sur l'assouplissement des aides d'État liées à la transition écologique, ainsi que sur la simplification des règles d'installation des usines. Le groupe RDSE est en tout cas favorable à cette première réponse.
Je n'oublie pas une difficulté intrinsèque à l'Union européenne, à savoir l'existence de règles régissant le marché unique qui compliquent l'octroi de subventions aux entreprises. Sur ce point, l'Union européenne ne doit pas être dogmatique, sous peine de rester la variable d'ajustement dans un monde dérégulé.
Face à un acte déloyal, nous devons apporter une réponse à la hauteur, ce que laisse espérer sur le papier le Green Deal Industrial Plan. Si nos intérêts économiques, de surcroît face à des États-Unis décomplexés quant aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), commandent de faire évoluer le cadre européen, faisons-le sans tarder. Je souligne toutefois qu'il ne s'agit pas d'entrer dans une guerre commerciale avec les États-Unis, certainement pas dans le contexte de la guerre en Ukraine qui nécessite un lien fort entre alliés. Une autre réponse pourrait consister en la création d'un fonds de souveraineté européen.
Le groupe RDSE, attaché à la cohésion de l'Europe et à la solidarité entre États membres, telle qu'elle s'est exercée au travers du plan de relance, est ouvert à cette idée. Je rappelle que ce fonds suscite l'intérêt de la Banque publique d'investissement. On peut relever que Bpifrance a su jouer son rôle dans la mise en œuvre du plan Juncker.
Madame la secrétaire d'État, plus globalement, ce débat pose la question de l'autonomie stratégique de l'Union européenne.
Bien qu'il soit clair que l'Union européenne ne sera jamais autosuffisante, la réponse au plan américain doit être celle de la reconstitution d'une industrie compétitive irriguant tous les territoires. À cet égard, madame la secrétaire d'État, la baisse des impôts de production ne saurait constituer à elle seule une politique de reconquête industrielle. Nous attendons plus.
Le groupe RDSE sera donc attentif à l'initiative du chef de l'État dans le cadre du prochain Conseil européen.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe. Monsieur le sénateur Corbisez, votre question me permet d'apporter quelques précisions.
Un tiers des fonds européens sont dédiés à la transition énergétique. Par conséquent, nous ne sommes pas dépourvus financièrement.
Si notre balance commerciale présente bien des chiffres décevants, nous devons noter une hausse de 37 % de nos exportations de produits agricoles, ce qui est remarquable, ainsi qu'un excédent de 23,5 milliards d'euros dans l'aéronautique. Vous le voyez, nous ne sommes pas totalement démunis.
Face à l'IRA, nous comptons déployer une réponse en quatre temps : premièrement, l'utilisation de flexibilités immédiates des financements existants, deuxièmement, le recours à des instruments de défense commerciale, troisièmement, un fonds souverain pour tous les pays de l'Union européenne – comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, cela viendra dans un second temps, peut-être au mois de juin prochain –, quatrièmement, un plan compétences, puisque, pour l'énergie, le numérique, comme pour toutes ces nouvelles technologies, nous aurons besoin de nouvelles forces, de nouveaux talents. Nous nous efforcerons d'œuvrer en ce sens.