M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les coopératives constituent des acteurs majeurs du développement économique. Nées de la volonté des agriculteurs de prendre collectivement en main leur destin, elles ont relevé d'importants défis depuis leur création.
Force est de constater que le modèle coopératif rencontre de vifs succès économiques. Ses spécificités en matière de gouvernance, laquelle s'inscrit dans le long terme, en font des entreprises non délocalisables, ancrées dans les territoires.
En investissant dans leurs appareils productifs, la recherche et le développement, les coopératives agricoles parviennent à rémunérer leurs adhérents et à effectuer un partage de la valeur plus équilibré. Leur résilience leur permet de mieux résister aux crises, grâce à l'importance de leur capital social et de leurs réserves accumulées, qui leur assurent une réelle capacité de développement. Aujourd'hui, en France, une marque alimentaire sur trois est produite par une coopérative.
Face à ces évolutions, la gouvernance des coopératives n'a pas cessé de s'adapter pour répondre aux nouveaux défis. Une évolution majeure tient à la multiplication des opérations de rapprochement ou de croissance externe, lesquelles ont modifié la taille et le champ d'activité de nombre de coopératives.
Depuis 1999, les coopératives ont l'obligation de consolider leurs comptes. Elles sont aussi soumises aux contrôles du Haut Conseil de la coopération agricole, le HCCA. Par ailleurs, leurs obligations ont été renforcées en 2014, afin de mieux éclairer les associés sur le fonctionnement de leur groupe.
Enfin, plus récemment, l'article 11 de loi ÉGALIM a prévu une réforme par ordonnances de la gouvernance de ces acteurs clés de la chaîne de valeur agricole. Une ordonnance en cours de rédaction fait l'objet d'une concertation. Elle devra reposer sur un équilibre précis entre les attentes des agriculteurs adhérents et les exigences du marché.
Les coopératives sont indispensables au développement de notre agriculture. Corrélativement, elles doivent s'adapter. Leur transparence et leur responsabilité doivent être renforcées. Pour y parvenir, différentes pistes sont à étudier.
Une première piste consisterait à octroyer au HCCA un champ d'action plus large, afin d'en faire une autorité de contrôle et de régulation. Pour cela, deux éléments sont indispensables : le Haut Conseil doit disposer de ressources supplémentaires, afin de mener des expertises plus poussées, et son conseil d'administration pourrait être ouvert à des personnes qualifiées.
Une deuxième piste serait de confier au Haut Conseil le soin d'établir une charte de gouvernance des grands groupes coopératifs, dont il contrôlerait la bonne application. Cette charte proposerait notamment des procédures rigoureuses de recrutement des managers et leur évaluation par des cabinets labellisés ; des formations obligatoires des élus du conseil d'administration ; la mise en œuvre de comités permettant un contrôle renforcé des élus ; la garantie de la séparation des pouvoirs entre le politique, qui oriente et contrôle, et les managers, qui pilotent et rendent compte de leur action.
Une troisième piste consisterait à renforcer le rôle et les moyens du médiateur de la coopération, afin de mieux gérer les situations de conflit ou les crises éventuelles.
Certaines coopératives agricoles sont soupçonnées de s'éloigner quelque peu de l'esprit coopératif, afin de peser sur les marchés, ce qui donne à certains agriculteurs le sentiment que les outils qu'ils financent leur échappent. Je pense ainsi à la crise interne traversée actuellement par ce fleuron que constitue le groupe Tereos, dont la situation a été évoquée précédemment.
Néanmoins, les difficultés momentanées d'un groupe coopératif ne doivent pas nous faire oublier que la très grande majorité des entreprises fonctionnent parfaitement bien, et ce quelle que soit leur taille.
À mon sens, il faut éviter l'a priori simpliste selon lequel la gouvernance des grands groupes coopératifs s'éloignerait des adhérents, tandis que les petites et moyennes entreprises seraient plus vertueuses. En effet, les grands groupes coopératifs disposent d'un contrôle de gestion rigoureux ; l'implication et le contrôle des administrateurs y sont souvent plus importants que dans les PME ou les TPE.
Les enjeux de filière, de marché et de profil des clients déterminent la taille optimum d'une coopérative. De celle-ci dépendra une organisation de la gouvernance adaptée, décentralisée, par exemple à travers des conseils de section ou de région, des conseils d'usine, ou, pour les filiales, des conseils de surveillance, avec, en leur sein, des administrateurs impliqués et bien formés ; ce point est extrêmement important.
Soulignons enfin le rôle essentiel des grands groupes coopératifs. Lors de nombreuses crises, ils ont assuré un soutien financier à leurs adhérents.
Pour conclure, sociétés de personnes ancrées dans un territoire mettant en œuvre une solidarité intergénérationnelle, les coopératives agricoles ont démontré leur remarquable efficacité économique, leur capacité à concilier le local et le global et à construire une économie au service de l'homme, du territoire et du développement durable.
Alors même que nous nous sommes penchés, il y a quelques mois, sur la loi ÉGALIM, il ne faut surtout pas décourager l'émergence de coopératives leaders en France. Au contraire, il faut inciter aux regroupements, indispensables à l'amélioration du rapport de force, au profit de nos agriculteurs, alors même que seules six d'entre elles figurent dans le top 20 des coopératives européennes.
Avant de terminer, permettez-moi de vous citer une phrase de Charles Gide : « Les coopératives sont un îlot de singularité dans un océan de capitalisme. »
Enfin, je remercie le groupe Union Centriste d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)