Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cas d’échanges transfrontaliers, on assiste à des fraudes à la TVA, notamment à des fraudes carrousel. Depuis une dizaine d’années, la stratégie de l’administration fiscale consiste à réprimer également le comportement du fournisseur ou de l’acquéreur qui aurait traité sciemment avec des clients ou des vendeurs défaillants.
Cette approche est tout à fait pertinente ; elle a un effet dissuasif et permet de sanctionner tout acte de complicité avéré, qui peut alors faire l’objet d’un redressement fiscal, mais aussi d’une procédure pénale. Il s’agit là de procédures totalement indépendantes, ce qui ne pose pas de problème de principe si leurs résultats sont convergents.
En revanche, une entreprise dont l’absence de complicité a été reconnue et dont la responsabilité a été entièrement dégagée dans le cadre de la procédure pénale, dont la bonne foi a donc été admise, peut faire l’objet d’un redressement fiscal maintenu, en particulier si l’entreprise fraudeuse a disparu ou a organisé son insolvabilité. L’administration fiscale se retourne alors vers celle qui a encore de l’argent, alors que sa complicité n’est pas avérée.
Pour les entreprises subissant cette double peine, qui concerne parfois des sommes qu’elles n’ont même pas encaissées, n’est-il pas indispensable de définir un dispositif d’harmonisation des procédures de manière à prévenir des dégâts collatéraux injustes ?
Le déploiement d’une stratégie d’implication des entreprises complices, parfaitement justifié, ne doit-il pas être mieux encadré pour éviter de mettre en difficulté des entreprises qui n’ont pas commis de fraude ? Ces cas sont minoritaires, mais ils existent.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Merci, monsieur le sénateur, d’avoir souligné l’efficacité des services fiscaux et de la stratégie adoptée depuis un certain temps sur la TVA, malgré les trous dans la raquette que nous allons combler.
Votre question est pleine de bon sens. Vous avez adopté la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite « du droit à l’erreur », grâce à laquelle la bonne foi est reconnue par nature. Ce texte s’applique parfaitement au cas que vous décrivez.
Je ne suis pas moi-même informé de situations particulières conformes à ce que vous expliquez, mais il en existe sans doute. Si vous connaissez des gens dont nous sommes certains qu’ils n’ont pas participé à la fraude, ou au moins pour lesquels l’administration ne dispose d’aucun élément laissant penser le contraire, alors que l’on se retourne vers eux en leur imposant cette double peine, n’hésitez pas à nous le faire savoir.
L’administration fiscale devrait d’elle-même considérer qu’elle n’a pas à se retourner contre eux, mais si elle le faisait, par habitude ou par volonté de récupérer les sommes en cause – c’est légitime, car c’est ce qu’on lui demande, même si cela peut contredire la réalité des choses –, je vous prie de faire remonter l’information.
Dans votre introduction, vous évoquiez des différences entre les jurisprudences administratives et les jurisprudences pénales ; nous en avions discuté au sujet du verrou de Bercy. Il n’y a pas de primauté d’une juridiction sur l’autre et la difficulté est dans la cohérence entre les décisions du juge administratif, qui est le juge de l’impôt, et celles du juge pénal. Nous avons tous envie, en effet, de pénaliser les cols blancs, ceux dont la seule crainte n’est pas une énième amende, mais bien une peine de prison.
La difficulté de coordination vient du fait qu’aucune de ces deux juridictions ne l’emporte sur l’autre. Depuis la fin du verrou de Bercy, cela concerne également les particuliers.
Il convient d’éviter de se livrer à des absurdités shadokiennes et, tout en respectant l’indépendance du juge administratif comme celle du juge judiciaire, de faire preuve de bon sens dans l’application des jugements. Telle est la consigne qui est donnée à l’ensemble des administrations françaises, singulièrement à l’administration fiscale, soulignée par la loi précitée.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour la réplique.
M. Jean-Marc Gabouty. Je vous remercie, monsieur le ministre. En effet, un contribuable ou un citoyen ne peut pas comprendre, alors qu’il a été totalement innocenté dans le cadre d’une procédure pénale engagée par l’État, qu’on le recherche en paiement pour un redressement fiscal. Son sort peut même dépendre de la solvabilité du fraudeur ! C’est ubuesque, et l’indépendance des procédures pose tout de même problème.