M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'électricité, bénéficiant d'un statut particulier, est considérée par le Conseil d'État comme un produit de première nécessité non substituable, ce qui explique que sa production ne puisse être traitée comme une activité de marché quelconque.
Le plan de sauvetage Hercule impose une nouvelle séparation des activités d'EDF en deux ou trois entités portées par une société holding : EDF Bleu, portant la production nucléaire, à capitaux 100 % publics, et éventuellement ses barrages hydrauliques qui pourraient toutefois être cantonnés au sein de l'entité EDF Azur, et EDF Vert, ouvert aux capitaux privés, incluant les énergies renouvelables et Enedis. En contrepartie de cette scission, le prix de l'Arenh pourrait être enfin revalorisé pour redonner à EDF une capacité d'investissement qui lui fait actuellement défaut et lui offrir de la marge face à son fort endettement.
Le tarif de l'Arenh – contrepartie à la situation monopolistique d'EDF – est fixé à 42 euros par mégawattheure depuis 2012. En raison du refus par la Commission européenne de toutes les propositions de révision, il pénalise EDF et la place dans une situation inéquitable face aux fournisseurs alternatifs qui se tournent soit vers l'Arenh, soit vers le marché de gros, soit vers la justice dès que cela les arrange. L'ouverture à la concurrence n'a pour l'instant ni favorisé l'émergence de nouvelles capacités de production par ces fournisseurs alternatifs ni profité aux consommateurs.
La concurrence artificielle à marche forcée sur les industries de réseau, dont la nature se prête peu à ce jeu, se fait ainsi au détriment des consommateurs, ce qui n'est conforme ni aux principes généraux du droit de la concurrence ni aux objectifs de l'ouverture du marché européen de l'énergie. La baisse des prix de l'électricité n'a pas eu lieu. Quelle ironie !
Le groupe du RDSE ne peut envisager une maîtrise de la production énergétique et des réseaux qui ne demeurerait pas dans le giron de l'État et qui ne garantirait pas la sécurité d'approvisionnement de la France.
De surcroît, après toutes les subventions octroyées par l'État pour le développement des énergies renouvelables, il serait inacceptable de perdre la main sur ce secteur devenu très rentable. Le projet Hercule fait d'ailleurs l'objet de spéculations sur les marchés. Nous pensons, pour notre part, que le capital d'EDF doit demeurer largement public. La transition énergétique et le respect de l'accord de Paris supposent que l'État conserve le contrôle sur le nucléaire et l'ensemble des énergies renouvelables, hydraulique compris, avec leurs risques et leurs bénéfices.
Nous craignons que la réorganisation des activités d'EDF ne finisse par affaiblir davantage le nucléaire, fleuron de l'industrie française, construit et financé par les contribuables, à contre-courant du discours prononcé au Creusot dans lequel le Président de la République déclarait que l'atome devait continuer à être un pilier du mix énergétique pour les décennies à venir.
S'il s'agit, en revanche, dans une démarche tactique, de ne pas confier au marché une partie des activités actuellement réalisées par EDF, comme une mise à l'abri des concessions hydroélectriques face aux exigences de la Commission européenne quant à leur mise en concurrence, nous y serions favorables. Mais nous craignons que la solution retenue ne permette pas d'éviter cette issue.
L'absence de transparence nous inquiète. L'obtention des informations au travers de la seule presse n'est pas acceptable. La représentation nationale devrait être associée à l'élaboration d'un projet aussi fondamental et stratégique. Pourquoi ne pas instaurer une nouvelle commission Champsaur ? Les salariés et les citoyens sont totalement exclus de l'état des négociations entre la France et la Commission européenne ; les interrogations sont donc légitimes.
Est-ce l'étape ultime du processus de libéralisation engagé dès les années 1990 ou une tentative de protection de nos actifs énergétiques ? Démantèlement ou préservation du patrimoine national énergétique, nous considérons que le Gouvernement doit rendre compte des négociations en cours et rassurer nos concitoyens, ainsi que les salariés d'EDF, quant à l'avenir de notre souveraineté énergétique, la préservation des emplois et l'accès de tous à l'énergie à un prix abordable.
Madame la ministre, je vous remercie de nous indiquer dans quel scénario nous sommes, afin que nous, parlementaires, puissions à notre tour réaliser nos propres travaux d'Hercule en arrêtant un positionnement clair et argumenté.
Pour rester dans la parabole herculéenne, je conclurai en indiquant que la pression du « tout marché » qui s'exerce sur notre société est aussi puissante et lancinante que celle que produit la dérive des continents au niveau du détroit de Gibraltar. Aussi, les colonnes d'Hercule, qui pourraient matérialiser le bicamérisme cher au président du Sénat – bicamérisme reposant sur nos deux assemblées –, seront-elles assez fortes pour résister aux forces en présence ? En tout cas, une seule colonne hésitante ne suffira pas ! (MM. Éric Gold et Franck Menonville applaudissent.)