M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. « Pourquoi ce besoin de nous mettre le monde entier à dos ? […] Ils pensent que c’est une chance unique qui ne se représentera jamais. C’est sûrement vrai. Mais toutes les chances ne sont pas bonnes à saisir. » Cette déclaration de Chuck Freilich, ancien conseiller israélien à la sécurité, résume l’ampleur du défi posé par le projet d’annexion de la vallée du Jourdain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, le 1er juillet prochain, selon les termes d’un accord relatif à la formation d’un gouvernement d’union avec son ex-rival Benny Gantz, le Premier ministre Benjamin Netanyahou pourrait traduire dans les faits le plan de l’administration Trump qui prévoit l’annexion de près de 30 % de la Cisjordanie.
Alors que les accords de 1993 devaient ouvrir la voie à un État palestinien, le plan de paix de Trump – une proposition unilatérale – fonde Israël à agir. Certes, depuis plusieurs années, une forme d’annexion est de facto déjà visible dans cette région. La colonisation s’y accélère : 200 000 colons au moment des accords d’Oslo, 430 000 aujourd’hui. En outre, que dire de l’incorporation progressive du droit israélien en territoires occupés ?
Allant de toute évidence à l’encontre du droit international, l’annexion de la Cisjordanie par l’État israélien représenterait une grave violation de la Charte des Nations unies et des conventions de Genève. Elle serait contraire à la règle fondamentale affirmée à maintes reprises par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies, selon laquelle l’acquisition de territoires par la guerre ou la force est inadmissible.
Clairement, au sein de la communauté internationale, la condamnation est unanime, si je mets bien entendu de côté les États-Unis.
Dans ces conditions, que va devenir la recherche d’un axe d’entente israélo-palestinien ? Cette annexion enterrerait en effet le droit palestinien à l’autodétermination des peuples par des moyens non violents.
De l’autre côté, la diaspora, attachée au respect des droits de l’homme, pourrait ne pas reconnaître le projet sioniste visant à l’établissement d’un État juif et démocratique.
Alors que la situation humanitaire et sécuritaire est déjà difficile dans les territoires palestiniens, l’annexion pourrait provoquer une troisième intifada.
Quoi qu’il en soit, l’État israélien devra assumer le sort de centaines de milliers de Palestiniens vivant en Cisjordanie ; sort que l’on peut présumer difficile, le Premier ministre Netanyahou n’envisageant pas, selon ses propos, d’accorder aux Palestiniens résidant dans les territoires cisjordaniens annexés les mêmes droits civiques et politiques que ceux qui sont dévolus aux Israéliens. Comment accepter l’institution de citoyens de seconde zone, de deux peuples vivant dans le même espace, dirigés par le même État, mais avec des droits profondément inégaux ? Pourtant, sans sourciller, le Premier ministre a déclaré que cette annexion les « rapprocherait de la paix ».
La question israélo-palestinienne, c’est aussi un enjeu régional déterminant. Naturellement, on sait que les pays du monde arabe sont attentifs à cette phase critique.
Que vont devenir les accords de paix notamment conclus avec l’Égypte et la Jordanie ? Le chef de la diplomatie jordanienne a annoncé que l’annexion de la Cisjordanie par l’Israël serait une « menace sans précédent pour le processus de paix » et pourrait plonger le Proche-Orient dans un « long et douloureux » conflit. Je crains aussi que toutes les dernières manœuvres de rapprochement avec les pays arabes sunnites tels que l’Arabie saoudite soient définitivement enterrées…
Face à tout cela, quelle peut-être la réaction de la communauté internationale ?
La solution à deux États, que la France et l’Union européenne appellent de leurs vœux, serait réduite en poussière en cas d’annexion. Pourtant, c’est cette voie que nous devons défendre, car elle constitue le meilleur équilibre entre les aspirations des deux parties. Sur le plan géopolitique, Israël aurait plus à perdre qu’à gagner en annexant la vallée du Jourdain. Par conséquent, tout doit être mis en œuvre pour éviter cela et faire perdurer les promesses d’Oslo. C’est d’ailleurs votre position, monsieur le ministre, et mon groupe est également sur cette ligne.
Oui, il faut préserver la référence au droit international et condamner ce qui s’apparente à un passage en force ! C’est une décision unilatérale échappant complètement aux codes de la diplomatie, qui exigent au moins des négociations avec tous les acteurs concernés.
Comme vous avez déjà eu l’occasion de le rappeler, il est important de distinguer dans nos accords bilatéraux avec Israël la distinction juridique entre le territoire d’Israël et les Territoires palestiniens occupés depuis 1967. Certains y voient une sanction déguisée, mais avons-nous d’autres leviers ? En outre, cette distinction est conforme aux décisions internationales, en particulier la résolution 2334.
Mes chers collègues, aujourd’hui, de nombreuses manifestations ont lieu contre l’annexion et le plan de l’administration Trump, comme lundi dernier à Jéricho. Des milliers de Palestiniens manifestent pour leurs droits. Légitimement, ils attendent une réponse diplomatique à la hauteur des enjeux.
Dans cette perspective, monsieur le ministre, la France a toujours un rôle important à jouer. Aussi, nous comptons sur votre action bienveillante et, surtout, énergique. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, LaREM, SOCR et CRCE.)