M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat, organisé sur l'initiative de nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, mériterait sans doute plus qu'une heure, compte tenu de tout ce qui a déjà été écrit ou dit sur les critères européens et des discussions qu'ils continuent de susciter. Ces dernières ne se limitent d'ailleurs pas au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de 2012, qui n'est que le dernier étage d'un ensemble de règles instaurées avec les traités de Maastricht en 1992, puis d'Amsterdam en 1997, à l'origine du pacte de stabilité et de croissance.
Si l'on remonte encore un peu plus loin, la règle des 3 % de déficit public ramené au PIB serait apparue lors du premier septennat de François Mitterrand. La raison de ce chiffre est donc historique et conjoncturelle ; il est surcroît empreint d'une certaine simplicité, voire d'une symbolique. Cette règle a ensuite été reprise lors des négociations du traité de Maastricht et de l'instauration de l'Union économique et monétaire.
Il faut donc inverser la vision commune de cette règle des 3 % : ce n'est pas l'Europe qui aurait imposé une règle budgétaire arbitraire aux États membres ; celle-ci a été introduite dans les traités sur l'initiative de la France, avec l'accord de l'Allemagne, qui souhaitait garantir une certaine discipline budgétaire au sein de l'Union.
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l'Union européenne, adopté en 2012-2013 dans les conditions que l'on sait, n'a fait que renforcer ou affiner ces règles, en introduisant la notion de solde structurel et l'objectif de moyen terme, que nous avons adopté en loi de programmation, en fixant un objectif de réduction de la dette d'un vingtième par an – le « pacte budgétaire » – et en renforçant la coordination des politiques économiques et la gouvernance de la zone euro.
Aujourd'hui, force est de constater que, depuis l'origine, aussi bien le pacte de stabilité et de croissance que le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ont été relativement peu respectés par les États membres, en particulier par la France, qui, hélas, ne figure pas parmi les bons élèves.
En effet, notre pays présente encore un déficit structurel supérieur à 0,5 point de PIB, même s'il existe des débats d'experts sur la délimitation exacte de ce qui relève respectivement du conjoncturel et du structurel, voire de l'exceptionnel. Ainsi, sur 2019, nous avons des discussions sur le delta de ce pourcentage, compte tenu de la double charge liée au transfert du système du CICE, le crédit d'impôt compétitivité emploi, qui n'est pas rattaché à l'année budgétaire.
La crise financière de 2008 et la crise des dettes publiques ont porté le coup le plus sévère aux règles du pacte de stabilité. De nombreux États qui avaient redressé la barre ont dû recourir à des déficits très supérieurs à 3 %. Cela a entraîné une hausse spectaculaire de l'endettement public : alors que la France était en 2008 tout juste dans la limite des 60 % d'endettement, elle approche désormais des 100 %, avec toutefois une stabilisation depuis 2017.
La situation des déficits s'est améliorée. En 2018, seule l'Espagne affichait un déficit encore supérieur à 3 %, et quatorze pays, dont la Grèce, présentaient un budget en équilibre ou en excédent. Depuis 2017, la France a un déficit inférieur à 3 % du PIB, et elle est enfin sortie de la procédure de déficit excessif.
En revanche, le niveau d'endettement reste élevé : la moitié des États membres présentent une dette publique supérieure à 60 %, et cinq pays ont une dette supérieure à 100 % du PIB. La dette moyenne dans la zone euro était de 86 % en 2018.
Nombreux sont ceux qui, depuis l'origine ou plus récemment, remettent en question les critères de convergence européens. De fait, au niveau de l'Union, la France, qui porte depuis longtemps le projet d'une Union économique et politique plus étroite, avec une véritable gouvernance de la zone euro et un budget commun, doit composer avec les réticences de l'Allemagne et d'autres États, qui craignent de devoir payer pour la mauvaise gestion réelle ou supposée de leurs voisins.
Alors que le fédéralisme est aujourd'hui très poussé en matière monétaire, et qu'il s'est renforcé dans le domaine bancaire, la politique budgétaire reste le parent pauvre de l'Union, ce qui laisse le système européen incomplet et déséquilibré.
Dans ce contexte, qu'apporterait réellement une sortie des traités ? La situation outre-Manche est éclairante à cet égard. Au-delà des négociations difficiles sur le Brexit, le Royaume-Uni offre l'exemple d'un État membre qui n'a pas signé le Pacte budgétaire et qui présente des niveaux de déficit et d'endettement très loin d'être exemplaires, même s'ils se sont améliorés ces dernières années par rapport à la France. Comme les autres États, le Royaume-Uni doit émettre de la dette sur les marchés, avec un taux fixé par ces derniers.
Nos voisins britanniques ont aussi dû mettre en place leurs propres règles contraignantes, afin de maîtriser leurs finances publiques. Depuis de nombreuses années maintenant, ils pratiquent une austérité budgétaire qui n'aurait probablement pas de quoi enchanter nos collègues. Brexit ou pas à la fin de l'année, il n'est pas sûr qu'ils y mettent un terme dans un avenir proche. Cet exemple semble donc indiquer qu'une sortie pure et simple des traités ne ferait pas disparaître certaines contraintes qui s'exercent sur nos finances.
Enfin, il faut rappeler le contexte de l'adoption du Pacte budgétaire. C'était alors la condition qu'avaient posé l'Allemagne, les Pays-Bas et d'autres pays pour poursuivre l'aide aux pays en difficulté financière, en particulier la Grèce.
La volonté d'apporter une réponse aux causes structurelles des déficits n'est pas critiquable en soi, me semble-t-il. En revanche, la question de la convergence continue de se poser.
L'absence de politique budgétaire proprement européenne reste un frein à une véritable coordination et à une politique davantage tournée vers l'investissement, la croissance, l'emploi et la transition énergétique, ce à quoi devait répondre le Pacte pour la croissance de 2012. C'est le sens de la proposition réitérée par le Président de la République à nos partenaires européens. Le rôle des parlements nationaux, tel qu'il est défini aux articles 3 et 13 du traité, mériterait également davantage d'attention.
Ces quelques remarques montrent la complexité du sujet. Il est improbable qu'une sortie sèche des traités ferait disparaître les contraintes qui pèsent sur la politique budgétaire des États membres. En revanche, la zone euro doit mettre beaucoup plus l'accent sur l'investissement, l'emploi et la coordination budgétaire et fiscale.
Pour conclure, si cette règle des 3 % qui nous est imposée par l'Europe – il est facile de renvoyer l'impopularité de telles contraintes sur d'autres (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) – n'existait pas, nous devrions nous l'imposer à nous-mêmes.
L'objectif est non pas de se limiter à la règle des 3 %, mais d'avoir un budget a minima en équilibre et même, si possible, excédentaire, afin d'amorcer la réduction de l'endettement public. Notre surendettement nous prive aujourd'hui de toute marge de manœuvre. Il affaiblit politiquement notre pays, en nous privant des moyens financiers qu'il serait souhaitable de mobiliser pour la modernisation de nos infrastructures routières, ferroviaires, fluviales ou hospitalières, pour la transition énergétique ou encore pour l'aide au développement en faveur, par exemple, des pays africains.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Marc Gabouty. L'absence de contraintes budgétaires est synonyme non pas d'autonomie budgétaire, mais plutôt d'impuissance politique. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)