M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, les juristes aiment user de locutions latines pour caractériser telle ou telle règle de droit ou situation atypique, exactement comme celle que notre pays subit depuis maintenant plus d'un an. Aussi serais-je tenté de vous dire à cet instant, monsieur le Premier ministre : non bis in idem, c'est-à-dire « pas deux fois la même chose » !
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Nous sommes légitimement en droit de nous interroger sur l'intérêt d'utiliser, une fois de plus, l'article 50-1 de la Constitution, que nous avons encore eu l'occasion d'apprécier il y a quelques jours.
Pour tout vous dire, nous autres parlementaires ne savons plus s'il faut considérer que nous sommes là pour entériner symboliquement des décisions déjà prises dans des enceintes plus confidentielles, ou si nous servons d'excipient pour mieux diluer la responsabilité de décisions que l'exécutif ne souhaite pas nécessairement endosser dans sa globalité.
Bien sûr, personne ne niera la difficulté de votre tâche, monsieur le Premier ministre, ni même la complexité de décider sous la pression d'une opinion publique fatiguée et d'élus parfois versatiles, y compris parmi vos plus proches soutiens. Nous en avons bien conscience !
Pour autant, je vais vous répéter exactement ce que je vous disais il y a une semaine à cette tribune : nous n'avons pas la même définition du choix collectif dans une démocratie parlementaire.
Or, au fond, ce dont nous débattons aujourd'hui n'est rien d'autre que la question fondamentale pour notre société de sa continuité démocratique dans des circonstances exceptionnelles. Nous avions déjà abordé cette question l'année dernière à l'occasion du report des élections municipales. Nous aurions gagné à y apporter des réponses non pas circonstanciées, mais pérennes, au lieu de devoir encore revenir sur le sujet à l'occasion de l'examen du projet de loi que vous nous avez annoncé pour le mois de mai.
Dans notre conception d'une République moderne et transparente, nous aurions souhaité que toutes les options relatives au calendrier électoral soient mises d'emblée sur la table, nonobstant toutes les incertitudes liées à l'évolution de la situation pandémique, en particulier lors de nos débats sur la loi du 22 février dernier.
Cela aurait sans doute évité les effets désagréables d'une consultation des maires précipitée en un week-end – quand bien même elle aura eu le mérite d'exister et de donner la voix à ceux qui se retrouveront une nouvelle fois en première ligne, pour organiser le scrutin dans les meilleures conditions possible.
Je tiens d'ailleurs à saluer la grande réactivité des maires de France dans l'Hexagone et en outre-mer, qui ont été près de 24 000 à répondre à cette consultation, quel que fût le sens de leur réponse, en à peine quelques heures. Je n'oublie pas non plus l'implication des associations d'élus, dans toute la diversité de leur expression.
Monsieur le Premier ministre, vous le savez, puisque je vous en ai fait part par courrier la semaine dernière, mon groupe est avant tout viscéralement attaché au respect, en toutes circonstances, des principes fondamentaux de notre vie démocratique, qui doivent régir aussi bien la régularité du déroulement de la campagne électorale que la sincérité du scrutin et l'égalité entre tous les candidats.
Or, vous en conviendrez, il n'existe pas à ce jour de solution idéale à même de garantir un déroulement normal du scrutin, que ce soit juridiquement ou politiquement, dès lors que les conditions sanitaires qui seront celles du mois de juin prochain sont incertaines. Faut-il alors lâcher la proie pour l'ombre ? Nous ne le pensons pas, et je vous confirme que mon groupe se ralliera dans sa majorité à l'idée de maintenir les deux scrutins en juin prochain.
C'est en toute responsabilité que nous nous prononçons, en ayant parfaitement à l'esprit que notre économie est dans un état plus qu'inquiétant, que nos restaurateurs n'en peuvent plus d'attendre, que le monde de la culture est en train de se nécroser et que notre système de santé s'approche trop souvent du point de rupture.
L'urgence d'un retour à une vie normale se fait sentir partout. Nous y incluons évidemment l'urgence de la continuité démocratique, car si l'on peut maintenir les entreprises ouvertes, les bureaux de vote peuvent l'être aussi.
Monsieur le Premier ministre, nous y attachons d'autant plus d'importance que le plus grand risque, nous le savons tous, est celui d'une abstention massive de nos concitoyens.
Cette abstention serait encore plus significative à l'heure où les réseaux sociaux forgent l'opinion, ce qui pourrait conduire à une nouvelle ochlocratie – le régime dans lequel la foule impose sa volonté –, où le complotisme ne s'est malheureusement jamais aussi bien porté, et où l'on assiste à un recul inquiétant du rationalisme chez nos jeunes concitoyens. Cessons de nous lamenter et agissons plutôt pour que l'abstention ne soit pas le premier parti de France, ouvrant la voie à une légitimation des extrémistes !
Dans ces circonstances, comme l'ont relevé de nombreux maires consultés, il convient de s'appuyer sur l'expérience du renouvellement des conseils municipaux l'année dernière.
Nous disposons aujourd'hui d'élus et de personnels municipaux parfaitement formés et réactifs. Je n'imagine pas un électeur se rendre dans un bureau de vote sans utiliser du gel hydroalcoolique ou respecter les distances. Les gestes barrières font désormais partie de notre quotidien.
Nous considérons, par conséquent, que les mesures que vous avez annoncées vont dans une direction satisfaisante, quand bien même elles n'apportent pas de garanties absolues : report d'une semaine du scrutin – il coïncidera avec le départ du Tour de France ! (Sourires.) –, aménagement des bureaux de vote bien sûr, extension des horaires de vote, double procuration et vaccination des assesseurs, sachant qu'il est déjà difficile d'en trouver habituellement.
Pour autant, je ne veux pas oublier les réticences des quelque 40 % de maires favorables à un report, qui attendent notamment qu'une plus grande partie de la population ait été vaccinée.
Quoi qu'il en soit, il importe par-dessus tout que l'égalité entre tous les candidats soit garantie. À ce sujet, soyons clairs : l'interdiction de toutes les réunions en intérieur comme en extérieur donnera à cette campagne électorale une nature singulière, comme un air de démocratie en quarantaine.
De même, la centralisation des professions de foi sur un site internet soulève encore une fois la question de l'égal accès de nos concitoyens à cette information indispensable pour éclairer leur choix. Nous en reparlerons d'ailleurs tout à l'heure, lors de la discussion de la proposition de loi du RDSE relative à la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique.
Mes chers collègues, j'attire encore votre attention sur les conditions particulières dans lesquelles se dérouleront les scrutins dans les petites communes rurales, en termes aussi bien de moyens que d'application des règles de distanciation.
L'éventuelle organisation du vote en extérieur, qui a pu être évoquée, ne nous paraît pas raisonnable. En effet, un vent malin pourrait disperser les bulletins de vote ! (Sourires.) Il conviendra de réfléchir à des solutions opérationnelles, avec le soutien de l'État.
Monsieur le Premier ministre, c'est avec la conviction profonde que nous devons approfondir sans relâche ce qui nous relie tous, citoyens de ce pays, face aux immenses défis qui s'imposent à nous, que la majorité du RDSE approuvera votre déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Julien Bargeton applaudit également.)