M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la troisième fois en cinq ans que le Parlement examine une convention fiscale entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg.
En décembre 2015 a été ratifié le quatrième et dernier avenant à l’ancienne convention, dont la première version remontait à 1958. Plus récemment, fin 2018, le Sénat ratifiait cette fois-ci la nouvelle convention bilatérale, établie à partir du modèle standard de l’OCDE, également ratifié par la France la même année, et qui s’impose désormais à l’ensemble de nos conventions fiscales.
Dans la mesure où le présent avenant, signé le 10 octobre 2019, contient lui aussi des dispositions de nature législative, il nécessite une approbation par le Parlement au titre de l’article 53 de la Constitution, via un projet de loi spécifique.
La nouvelle convention fiscale avait été ratifiée par le Sénat le 17 décembre 2018. Déjà, la procédure normale avait été rétablie en lieu et place d’un examen en procédure simplifiée.
Tout en saluant le nouvel accord, qui visait à la fois à moderniser notre droit pour prendre en compte les standards internationaux et à mettre un terme aux pratiques passées d’optimisation fiscale, j’avais déjà signalé à l’époque l’angle mort que constituait, à mes yeux, la situation des travailleurs frontaliers, pour lesquels le nouveau texte aurait pu avoir des conséquences imprévues et défavorables. J’avais également regretté le caractère succinct de l’étude d’impact d’alors.
Rappelons qu’il n’est pas possible d’amender un projet de loi de ratification : le Parlement ne peut qu’approuver ou rejeter en bloc ce qui a déjà été négocié et signé en amont. C’est la règle pour tous les traités internationaux. Ni la convention de 2018 ni cet avenant n’y font exception.
La convention, entrée en vigueur cette année, établit le principe de l’imposition en France de l’ensemble des revenus perçus au Luxembourg, afin d’éviter les doubles exonérations. Mais, en même temps, les salariés résidant en France bénéficient d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt déjà acquitté au Luxembourg, ce qui empêche les doubles impositions, mais n’exclut pas une possible surimposition en France, notamment pour les plus bas salaires.
Cet avenant supprime les sources d’ambiguïté pour les travailleurs frontaliers, ainsi que les inquiétudes de ces derniers. Il revient à la situation antérieure à 2018 pour les revenus d’emploi et les revenus immobiliers de ces travailleurs. On ne peut donc qu’y être favorable, d’autant que cela concerne en particulier les plus bas salaires.
On peut simplement regretter l’absence d’évolution de l’accord en ce qui concerne le télétravail, avec la question sensible du seuil des vingt-neuf jours, qui vient d’être évoquée. En cas de dépassement de ce seuil, le frontalier passe à l’imposition en France pour les journées télétravaillées, mais reste également imposable au Luxembourg.
La façon dont sera effectué le décompte reste à trancher : monsieur le ministre, une heure télétravaillée en France – par exemple le matin de huit heures à neuf heures, afin d’éviter les embouteillages – a-t-elle pour conséquence le retrait d’une journée sur les vingt-neuf jours ? Un découpage en demi-journées est-il envisageable ?
La nécessité d’un renforcement de l’information des entreprises et des travailleurs frontaliers peut faire consensus. Les grands groupes d’audit luxembourgeois, durant leurs séances d’information, précisent aux entreprises luxembourgeoises que, en cas de dépassement du seuil des vingt-neuf jours, elles doivent s’enregistrer en France pour s’acquitter de leur impôt.
Selon nos informations, cela ne devrait pas être obligatoire si l’entreprise ne dispose pas de salarié soumis au système de sécurité sociale français. Mais, avec ce discours, les entreprises verrouillent la pratique du télétravail en deçà des vingt-neuf jours. Du côté français, ne devrait-on pas envisager une communication gouvernementale sur ce thème, ainsi qu’en direction des travailleurs frontaliers ? Sur ce dossier, le centre de ressources Frontaliers Grand-Est mis en place par la région peut être un relais d’information efficace.
Au-delà des questions techniques de fiscalité, nous devons garder à l’esprit les préoccupations quotidiennes des frontaliers : les nuisances liées à l’engorgement des voies de communication, les embouteillages, la perte de temps, ainsi que les risques d’accident et la pollution qui ont des conséquences sanitaires et financières somme toute importantes.
À ces difficultés, le télétravail apporte des solutions pratiques, que l’on a pu particulièrement observer pendant la période de confinement. Reste à mettre en place le cadre juridique adapté et pleinement satisfaisant pour toutes les parties.
L’accord temporaire, qui a été rappelé par la secrétaire d’État Christelle Dubos à l’Assemblée nationale il y a quelques semaines, et qui est prorogé jusqu’au 31 août 2020, ouvre une voie intéressante.
Petit par sa taille, le Grand-Duché constitue un pôle économique majeur dans la région et reste un partenaire important à l’échelon européen du fait de sa situation géographique et historique. Sa position intermédiaire entre pays du Nord et pays du Sud lors des récentes négociations sur le plan de relance européen en témoigne encore une fois. Il participe également au financement d’infrastructures du côté français, comme à Thionville ou à Longwy.
Ensemble, nous devons aller davantage vers la coconstruction – je ne parlerai pas de rétrocession et préfère refermer la parenthèse pour ne pas rouvrir le débat – d’une véritable agglomération transfrontalière, dynamique et équilibrée.
Les accords fiscaux doivent favoriser une coopération plus transparente et plus fluide entre les administrations des deux pays, tout en préservant les spécificités nationales.
En conclusion, compte tenu de toutes ces remarques et des possibles débats que j’ai évoqués, le groupe du RDSE votera pour ce projet de loi de ratification. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)