Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Noël Guérini. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous le savons, l'exercice comptable est un passage obligé lors de l'examen des missions budgétaires, mais je fais le choix de ne pas m'attarder sur le détail des crédits, que nos collègues rapporteurs ont très bien exposé.
Je salue la hausse d'un peu plus de 2 % des crédits de paiement et des autorisations d'engagement consacrés à l'action extérieure de la France.
J'ose espérer que cette augmentation des moyens de la mission, par ailleurs renforcés au gré des dernières lois de finances rectificatives pour répondre aux conséquences de la crise sanitaire, consolidera nos capacités d'action dans le monde, au moins dans le domaine opérationnel.
Ainsi, j'observe avec satisfaction la stabilisation – oserai-je dire : « Enfin ! » – du schéma d'emploi du quai d'Orsay, après plusieurs années de forte décrue de ses effectifs.
Au plus fort de la pandémie, en mars dernier, nous avions mesuré, ô combien, l'importance de conserver des services consulaires efficaces et réactifs, lorsque nos compatriotes installés en dehors de notre territoire sont en difficulté et ont besoin d'être protégés.
La sanctuarisation des moyens du réseau diplomatique, le soutien d'urgence à notre diplomatie culturelle, notamment vers l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger, ou encore le niveau de nos contributions versées au titre de nos engagements à la sécurité internationale, tout cela, monsieur le ministre, va dans le bon sens ! Ces choix politiques ont été transformés afin de conforter le rayonnement de la France dans le monde.
Mes chers collègues, quittons quelques minutes ces questions budgétaires et permettez-moi de m'interroger sur notre place actuelle dans le monde.
Lors de son premier discours de chef d'État, en 1981, François Mitterrand avait déclaré : « Il est dans la nature d'une grande Nation de concevoir de grands desseins. »
M. Rachid Temal. C'était en 1981 !
M. Jean-Noël Guérini. Quels sont, aujourd'hui, les desseins diplomatiques de la France ?
À l'occasion de l'examen de la proposition de résolution sur le Haut-Karabakh, j'ai souligné que notre pays a les moyens d'affronter certaines situations, certes complexes, sans se réfugier dans une coupable neutralité. Dois-je rappeler quelques-unes des orientations stratégiques inscrites dans le bleu budgétaire annexé au projet de loi de finances ? On y trouve « Agir en faveur de la paix et de la stabilité », ou encore « Défendre la démocratie, les droits de l'homme et l'État de droit ».
Ces axes reposent sur des choix philosophiques qui nous engagent. J'apprécie, monsieur le ministre, les efforts et l'énergie que vous déployez en ce sens.
Il vous plaît de rappeler que la France a le devoir de jouer le rôle de puissance d'équilibre. Nous apprécions les difficultés que ce rôle implique dans le contexte géopolitique que nous connaissons, celui du retour des grandes puissances et de son corollaire, la contestation du multilatéralisme. En effet, lorsque la Russie prend la main, si je puis m'exprimer ainsi, afin d'obtenir un cessez-le-feu entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, le groupe de Minsk est marginalisé ; de fait, l'action de la France l'est également.
Au Proche-Orient, devons-nous nous contenter d'être transformés en spectateurs passifs, qui assistent, médusés, à la provocante tournée en Cisjordanie occupée de Mike Pompeo, représentant d'un président battu et sur le départ ?
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Jean-Noël Guérini. En Syrie, la Russie a mis la France hors-jeu. Quid de notre stratégie ?
En Libye, le rôle hégémonique, là aussi, de la Russie et de la Turquie nous déclasse. Pis, il nous évince de la séquence diplomatique du règlement d'un conflit aux conséquences migratoires et humanitaires cruelles.
En Afrique de l'Ouest, sous peine d'être accusés de renouer avec la Françafrique, nous subissons, impuissants, les aménagements – que dis-je, les arrangements constitutionnels – des présidents sortants désireux de conserver le pouvoir.
Enfin, je m'inquiète des timides soutiens de la communauté internationale que la France a reçus face à la colère instrumentalisée d'une partie du monde musulman, plus prompte à dénoncer des caricatures que les persécutions subies par les Ouïghours en Chine. (MM. André Gattolin et Olivier Cadic applaudissent.) Ces constats traduisent, selon moi, un certain isolement de notre pays.
Le monde est fragilisé de toute part, je le concède, mais le risque d'une nouvelle bipolarisation nous guette. Dans ces circonstances, il serait temps – nous le répétons déjà depuis trop longtemps ! – que l'Union européenne défende une vraie politique diplomatique : elle est en capacité de hausser le ton, comme elle a su déjà le faire sur les dossiers grec et chypriote face à la Turquie.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Noël Guérini. J'y viens, monsieur le président !
Vous avez souvent déclaré, monsieur le ministre, que l'Europe a les moyens de maîtriser et d'affirmer son destin et qu'elle doit tenir son rôle de puissance d'équilibre. J'ai l'intime conviction que ce moment est arrivé.
Attaché à l'approfondissement de l'intégration européenne, mon groupe vous soutient dans vos efforts déployés à convaincre nos partenaires que la sécurité et la paix sont une affaire collective et que, à ce titre, l'Union européenne doit prendre davantage ses responsabilités.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Jean-Noël Guérini. Pour ces raisons, en dépit des quelques réserves exprimées, nous approuvons ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. André Gattolin et Olivier Cadic applaudissent également.)