M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je suis à la fois heureux et fier de défendre la position du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen sur ces textes importants pour la Polynésie française. J'espère bien sûr pouvoir, dans un avenir proche, également porter la voix de mon territoire Saint-Martin, lui aussi régi par l'article 74 de la Constitution.
L'année 2019 pourrait être une année déterminante pour les territoires ultramarins : les assises de l'outre-mer en 2018 ont permis de rassembler des propositions au sein du Livre bleu définissant la stratégie globale du Gouvernement. Dans le cadre de la révision constitutionnelle, a été évoquée une possible réforme du régime de l'article 73.
Dans le même temps, et c'est l'objet des textes examinés aujourd'hui, les territoires ultramarins régis par l'article 74, dont la Polynésie française, entrent dans une phase de normalisation de leurs rapports avec la métropole.
Cette normalisation est d'abord le fruit du temps : quinze ans se sont écoulés depuis l'adoption du statut de 2004.
Cela a permis à la vie politique polynésienne de s'apaiser, mais également à la République de s'interroger sur les conséquences de l'élaboration de ses outils de dissuasion nucléaire dans la zone Pacifique.
Les déclarations du président François Hollande en 2016 reconnaissant les conséquences sanitaires et environnementales de ces essais, vingt ans après leur abandon par la France, ont marqué l'aboutissement de ce long cheminement réciproque.
Les déclarations de reconnaissance symboliques sont nécessaires. Le poète Édouard Glissant écrivait : « Chacun de nous a besoin de la mémoire de l'autre, parce qu'il n'y va pas d'une vertu de compassion ou de charité, mais d'une lucidité nouvelle dans un processus de la relation. »
M. Jean-Pierre Sueur. Vive Édouard Glissant !
M. Guillaume Arnell. C'est pourquoi, bien que de faible portée normative, l'article 1er du projet de loi organique, très attendu par les Polynésiens, doit être maintenu dans le texte en l'état.
La normalisation que j'évoquais est enfin le produit d'une construction institutionnelle, celle du statut qui unit les Polynésiens à la République depuis 2004. D'abord nécessaire pour contenir la grande instabilité gouvernementale de l'archipel, la rigidité de ce statut apparaît aujourd'hui comme fort contraignante.
Certes, la faculté de voter des lois du pays offre de la liberté. Mais, faute de mention explicite dans le statut, ce système comporte également une certaine insécurité juridique.
Réinventer la relation entre la Polynésie et la métropole, libérer les initiatives polynésiennes, procéder à quelques rééquilibrages institutionnels : tels sont les enjeux de ces projets de loi que nous examinons aujourd'hui.
Comme aux Antilles où, pour d'autres raisons, l'histoire commune partagée avec la métropole est teintée d'amertume, les Français de Polynésie sont déterminés à réinventer cette relation sur de nouvelles bases. Que demandent-ils à Paris ? De réparer les corps affectés par les essais nucléaires et de leur permettre d'organiser les leviers de croissance qui prépareront leur indépendance économique.
De son côté, la métropole a tout intérêt à encourager ce mouvement, pour consolider la présence française dans la région Pacifique. On a vu l'engagement renouvelé des grandes puissances pour les organisations régionales comme l'APEC dans la zone. Faut-il pour autant laisser les territoires ultramarins conduire seuls une politique étrangère avec leurs partenaires environnants ? Quelle serait la marge de manœuvre acceptable ?
Il faudrait également que la politique étrangère française devienne plus proactive dans la défense des intérêts économiques et écologiques de ces Français, les plus exposés aux risques climatiques. L'exploitation des terres rares polynésiennes n'a d'ailleurs pas suscité d'inquiétudes de la part de nos collègues écologistes.
Compte tenu des enjeux politiques, je veux féliciter le rapporteur Mathieu Darnaud pour son travail conduit en coordination avec le Gouvernement et vous-même, madame la ministre, et évidemment ma collègue Lana Tetuanui, nos collègues polynésiens, qui, par leurs propositions, apportent des solutions concrètes aux problématiques polynésiennes, en particulier sur la question foncière.
La Polynésie n'avait pas bénéficié des clarifications apportées par la loi Letchimy, adoptée l'an dernier.
Nous n'avons évidemment pas l'intention de faire obstacle à ce fort consensus ni à cette formidable opportunité pour les Polynésiens d'améliorer leur statut.
Cependant, parce que nous légiférons pour l'avenir, nous nous interrogeons sur la pérennité de certaines dispositions, à la lumière de l'expérience métropolitaine.
C'est le cas du développement des autorités administratives indépendantes ou des sociétés publiques locales unipersonnelles. Nous aurons l'occasion de nous en expliquer.
Nous nous interrogeons également sur le risque d'insécurité juridique qui pourrait, à notre sens, découler des nouvelles modalités d'exercice du contrôle juridictionnel du Conseil d'État sur les lois du pays.
Une promulgation tacite ne comporte-t-elle pas un risque trop grand d'insécurité juridique ?
Plus généralement, en dehors de ces périodes de tractations intenses qui entourent la renégociation d'un statut, nous devrions nous réserver un temps pour réfléchir au mouvement global de ces évolutions. Jusqu'où pousser la logique d'adaptation du droit aux spécificités locales sans affaiblir le principe d'égalité entre nos concitoyens, où qu'ils vivent ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)