M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dimanche soir, le Président de la République a amorcé la troisième phase du déconfinement de notre pays, en tenant compte du dernier avis du Conseil scientifique, rendu le 14 juin. Si le virus continue de circuler sur notre territoire, nous nous accordons tous sur le fait que sa progression semble maîtrisée, voire contenue et même affaiblie. Après des semaines de bilans journaliers plus terrifiants les uns que les autres, la France reprend enfin son souffle, pendant qu'une autre partie du monde continue de sombrer dans la crise sanitaire. En bouleversant l'organisation même de nos foyers, de notre manière de travailler, de consommer et de vivre, le virus a aussi perturbé le cours de notre vie démocratique.
Au mois de mars dernier, près de 48 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes pour élire leur nouvelle équipe municipale dans les 35 000 communes qui constituent le cœur battant de notre démocratie locale. Dans 30 000 d'entre elles, le soir de la victoire d'une liste au premier tour a vu les Français rentrer ou rester chez eux pour se calfeutrer et résister à une menace rampante, invisible et meurtrière. Pour les 5 000 autres, le second tour prévu le dimanche 22 mars 2020 a été annulé le jeudi 19 mars. Nos territoires ont donc dû se préparer à affronter en première ligne une crise sanitaire sans précédent, en étant privés, pour certains, d'un exécutif local stable et établi.
C'est pourquoi, le 22 mai, la très grande majorité des élus et des candidats ont été soulagés que le Premier ministre appelle les Français à se rendre aux urnes le 28 juin. Cinq jours plus tard, le 27 mai, le Gouvernement déposait donc sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi précisant les conditions d'organisation de ce second tour. Mais, à notre grande surprise, fut déposé concomitamment sur le bureau du Sénat un projet de loi organique visant à reporter les élections sénatoriales et les élections législatives partielles, sur le fondement d'un hypothétique report des élections municipales au-delà de juin 2020.
Si les trois dernières années, en particulier les trois derniers mois, ont mis à rude épreuve notre calendrier parlementaire, avec des expériences gouvernementales, nous voici maintenant devant une originalité : les « projets de loi fictions ». Le législateur est prié de muter en scénariste devant imaginer des synopsis catastrophes à choix multiples. Le RDSE s'élève contre cette évolution contre-nature.
N'avons-nous pas démontré que nous étions capables de nous réunir en urgence pour prendre nos responsabilités, écrire la loi, l'amender et la voter dans l'intérêt général ? Ne l'avons-nous pas fait voilà quelques semaines à propos de l'état d'urgence sanitaire et voilà quelques mois pendant la crise des « gilets jaunes » ? N'allons-nous pas le faire une nouvelle fois la semaine prochaine, lorsque nous débattrons de la sortie de l'état d'urgence sanitaire ?
Au rebours du bon sens, sénateurs et députés ont été appelés à se pencher sur des scenarii fictifs opposés, relus simultanément par chacune des chambres parlementaires, avec un énième script qui nous réunit aujourd'hui dans cet hémicycle, pour nous attacher sans prétention à compléter des dispositions de la Constitution, socle fondateur de notre République.
À l'heure où nous débattons, notre pays est certes déconfiné, mais en piteux état. De lois nécessaires et attendues, nous n'en manquons pas. Elles sont attendues par nos concitoyens, qui ont entendu le ministre de l'économie et des finances déplorer la suppression de 800 000 emplois d'ici à la fin de l'année et le Président de la République leur annoncer que la crise devrait durer deux ans. Elles sont aussi attendues par le Sénat, qui aurait pu légiférer en urgence sur la définition d'un cadre susceptible de donner l'impulsion à une reprise économique solide et rapide.
Au lieu de cela, nous avons passé des heures sur un texte fictif protéiforme. La commission des lois, sur l'initiative de son président, a dû siffler la mi-temps pour que, à l'issue de nos travaux, soit promulguée une loi, et non une boîte à outils législative de secours.
Le présent projet de loi organique portera donc uniquement sur le cas des sénateurs représentant les Français de l'étranger, en raison de l'impossibilité matérielle d'organiser les élections consulaires dans certains pays sur lesquels déferle actuellement la vague pandémique. En commission, le Gouvernement a pu apporter des solutions sur l'ensemble des points juridiques évoqués dans la motion tendant au renvoi déposée par M. le rapporteur Philippe Bas. Ce texte prend acte du report des élections consulaires pour les Français de l'étranger en repoussant d'un an l'élection de six de leurs sénateurs et en raccourcissant le mandat de ceux-ci de cinq ans, en application de l'article 1er de la loi organique de 1983.
Nous sommes également satisfaits de l'adoption de l'amendement du rapporteur validant l'interprétation de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique quant aux obligations déclaratives s'imposant aux parlementaires pendant la crise sanitaire.
En conclusion, le RDSE, opposé à toute forme de politique-fiction, soutiendra la version du texte adoptée en commission des lois, qui constitue une loi concrète, fruit de la procédure parlementaire, dont notre groupe est un défenseur historique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)