M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis longtemps, les scientifiques, davantage que les juristes, savent saluer les bienfaits de l'expérience. Claude Bernard, fondateur de la médecine expérimentale, le soulignait : « Le savant s'instruit chaque jour par l'expérience ; par elle il corrige incessamment ses idées […], ses théories, les rectifie pour les mettre en harmonie avec un nombre de faits de plus en plus grands, et pour approcher ainsi de plus en plus de la vérité. »
Ces mots doivent entrer en résonance avec le projet de loi organique aujourd'hui en discussion. Les réformes incessantes de la décentralisation, depuis 1982 jusqu'au projet de loi 3D annoncé par le Gouvernement, nous montrent comme la vérité peine à se révéler en cette matière. Elles soulignent comme notre droit et nos institutions peinent à être en harmonie avec les faits, lorsqu'il est question de la vie de nos territoires locaux et de nos concitoyens.
Face à un tel constat, la possibilité de procéder à des expérimentations locales telles que permises par la Constitution depuis 2003 aurait dû être une source de solutions pour davantage de pragmatisme et une meilleure adaptation du droit. Ce dispositif devait permettre aux collectivités territoriales de déroger, dans le cadre de leurs compétences, sur une habilitation propre et pour une durée déterminée, aux dispositions législatives ou réglementaires existantes, afin d'éprouver la pertinence des réformes envisagées.
Ce dispositif, indéniablement prometteur dans ses principes, connut pourtant un succès plus que limité. Cela a pu être souligné, outre le faible nombre d'expérimentations effectuées, celles qui furent menées le furent le plus souvent sans respecter la méthodologie prévue par le constituant.
Légitimement, il faut s'interroger sur les raisons de l'échec du dispositif. Est-ce dû à un manque d'intérêt de la part des collectivités territoriales pour ces expérimentations ? Ce n'est pas mon sentiment. Pour prendre l'exemple du département dont je suis élue, je ne doute pas que les élus de Lozère désirent s'inscrire dans de tels programmes expérimentaux. Il leur serait bénéfique de pouvoir mettre en valeur les spécificités de leur population, de leur territoire et de l'aménagement atypique de celui-ci.
Le faible entrain pour les expérimentations locales est-il alors dû à la contrainte juridique excessive du dispositif en vigueur ? Cette explication n'est sans doute pas suffisante, mais elle peut être avancée et elle justifie qu'il faille en réformer le régime.
En effet, cet échec, quels qu'en soient les motifs, est regrettable et nous impose d'y remédier. Des expériences locales seraient l'occasion d'observer les différences que peuvent introduire les territoires dans leur réglementation. Faut-il administrer une zone « hyper-urbanisée » comme on administrerait un territoire « hyper-rural » ?
Notre regretté collègue, Alain Bertrand, avait souligné l'attention singulière dont cette « hyper-ruralité » devait bénéficier. Il indiquait déjà, dans son rapport de juillet 2014 intitulé Hyper-ruralité : un pacte national en six mesures et quatre recommandations pour restaurer l'égalité républicaine, combien ces territoires se distinguent par la faible densité et le vieillissement de leur population, par leur enclavement, leurs faibles ressources financières ou encore leur manque d'équipement et de services.
Face à cela, les zones hyper-urbanisées, telles que les métropoles, sont confrontées à d'autres problèmes politiques : pénurie de logements, habitats insalubres, congestion de la circulation urbaine, concentration des inégalités, densité démographique…
Face à cet éventail de particularismes, chaque région, chaque département, chaque commune connaît ses propres dynamiques, ses propres problématiques et quand, d'aventure, leurs problématiques sont les mêmes, il est rare qu'elles trouvent des réponses identiques d'un territoire à l'autre, d'une collectivité à l'autre.
Pour ces raisons, mes collègues du groupe du RDSE et moi-même sommes favorables à tout mécanisme qui participerait à ce que l'action publique s'adapte mieux aux besoins spécifiques du lieu où elle est mise en œuvre. L'assouplissement et la simplification du régime juridique des expérimentations locales nous paraissent s'inscrire dans un tel mécanisme.
Toutefois, si ce texte devait constituer un préambule au futur projet de loi 3D, nous veillerions à rester mesurés dans notre approbation, car il ne faudrait pas non plus que les réformes participent à un délitement de l'administration locale sur le territoire national.
L'unité républicaine passe aussi par le maintien d'une forme d'uniformité de l'action publique sur tout le territoire. Le réseau des préfectures et des sous-préfectures ne doit pas être délaissé, afin de pouvoir accompagner les collectivités territoriales et favoriser l'accès aux services publics.
La Nation française n'est pas un agrégat de collectivités mises bout à bout. Il faut donc veiller à ce que cette différenciation ne conduise pas à un abandon, par l'État et dans l'État, des collectivités locales les plus démunies, les moins armées tant financièrement qu'humainement, pour faire face aux difficultés qu'elles rencontreraient. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE. – M. Alain Richard applaudit également)