Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais commencer par remercier nos deux rapporteurs et l'ensemble de nos collègues de leur investissement sur ce projet de loi très important. Avant même les mobilisations provoquées par l'examen du texte à l'Assemblée nationale, le Sénat avait identifié les sujets les plus problématiques et y avait apporté des réponses pour la plupart satisfaisantes et consensuelles. L'organisation d'une nouvelle table ronde après l'échec de la commission mixte paritaire illustre la particulière implication de notre chambre sur le sujet.
Nous n'ignorons pas que toutes les réformes sont difficiles à conduire, surtout quand elles affectent un grand nombre d'acteurs ayant des intérêts divergents. C'est le cas en matière de justice.
Mais ici, ce sont tous les Français qui sont concernés. Notre devoir est de protéger les justiciables de manière équitable, de défendre les libertés individuelles et d'assurer la proximité du service public de la justice. Les préoccupations peuvent d'ailleurs sensiblement varier selon que l'on se situe en zone urbaine ou en zone rurale.
Avec la complexification des parcours de vie familiaux, professionnels et géographiques, notre réflexion doit se poursuivre. On ne peut pas se cantonner dans une attitude seulement conservatrice consistant à vouloir maintenir l'existant. Ce n'est pas la position de notre Haute Assemblée. Dès 2017, l'investissement de l'ensemble de l'hémicycle sur la proposition du président Bas a montré notre volonté de prendre à bras-le-corps tous les défis qui s'imposent aux justiciables et aux professionnels du droit, malgré plusieurs points de désaccord.
L'article 1er du projet de programmation budgétaire est certainement le plus important. La justice souffre d'un manque d'investissement substantiel. L'effort budgétaire consenti, qu'il soit de 20 % ou 30% sur quatre ans, devrait permettre d'améliorer les conditions de travail dans les juridictions. Quand on voit les résistances que le reste des dispositions suscitent, on n'est pas loin de se demander s'il n'aurait pas fallu se limiter à cet engagement budgétaire à droit constant ou presque, avant d'ouvrir les Chantiers de la justice. À l'avenir, il serait peut-être sage de s'imposer comme doctrine de n'ouvrir que des chantiers que l'on est certain de pouvoir sereinement conduire à leur terme.
En effet, aucun aspect de la justice n'échappe à ces projets de loi : développement de la médiation et de la conciliation, justice civile, affaires familiales, plateformes de services juridiques en ligne, justice administrative, procédure pénale, droit pénal et même justice pénale des mineurs, que vous proposez de réformer par ordonnance. Par la multitude des sujets qu'ils abordent, les effets escomptés de ces textes sont devenus impossibles à anticiper.
Nous regrettons particulièrement que la réforme pénale n'ait pas fait l'objet d'un texte distinct, en lien avec les très nombreuses réformes de sécurité intérieure qui se sont succédé après les attentats de 2015. Car, dans ce domaine, la défiance s'ajoute aux manques de moyens.
Là plus qu'ailleurs, il est dangereux de vouloir réformer sans s'assurer que des garanties élémentaires seront effectivement observées. Je pense en particulier au développement des techniques spéciales d'enquête, qui font reposer la protection des libertés individuelles sur un contrôle aujourd'hui purement formel des juges.
Parmi les points de consensus dans notre chambre – le sujet inquiète également de nombreux collègues députés –, il y a évidemment la question de la carte judiciaire et l'inscription de la justice dans l'espace national. Nous avons pris acte de votre engagement personnel et sincère à maintenir des lieux de justice à bonne distance de tous les justiciables, madame la garde des sceaux. Mais notre rôle est de nous assurer que cet engagement vous survivra sur du plus long terme.
À ce titre, la rédaction adoptée par la commission des lois offre de meilleures garanties que le texte résultant des travaux de l'Assemblée nationale.
Sur la question de la dématérialisation, de la même manière qu'il faut veiller à se départir de tout conservatisme, je crois qu'il est nécessaire de relativiser les retombées potentielles d'une transformation numérique des relations entre la justice et le justiciable.
Il faut bien le reconnaître, il existe aujourd'hui un fantasme administratif transversal selon lequel le recours aux nouvelles technologies serait la solution à tous les problèmes. Ce projet de loi n'y échappe pas. S'agit-il de rendre justice ou, pour l'administration, de limiter ses rapports avec les justiciables ? S'agit-il d'instituer une nouvelle intermédiation fragilisant l'accès au juge ? Le dernier rapport du Défenseur des droits dénonçant les liens entre la dématérialisation et les inégalités d'accès aux services publics abonde dans notre sens.
De la même manière, il est probable que les plateformes numériques en ligne serviront de miroir aux alouettes pour les justiciables les moins bien informés. Les autres continueront de solliciter des juges.
Sur d'autres questions, comme la lutte contre les violences sexuelles et la création d'un tribunal criminel départemental, nous avancerons également sans dogmatisme. C'est dans cet esprit que nous abordons cette nouvelle lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)