M. Henri Cabanel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « en même temps » : pour une fois, nous sommes d'accord avec la formule. Réindustrialiser, oui, mais pas n'importe comment !
Les objectifs du texte que nous examinons aujourd'hui sont clairement annoncés dans l'exposé des motifs : « Produire en France, c'est produire de façon propre, grâce à notre mix énergétique décarboné. » Il y est également indiqué ceci : « Chaque relocalisation contribue à réduire l'impact de nos activités à l'échelle mondiale. L'atteinte de nos objectifs économiques et climatiques passe par une nouvelle étape d'accélération des implantations industrielles […] pour attirer les industries vertes. Cette ambition s'accompagne également d'une volonté portée par le Gouvernement de former tous les talents indispensables au développement industriel en France. »
Parmi vos objectifs, mon groupe souhaiterait vous voir éclaircir trois paramètres, car si les intentions sont bonnes, la méthode est un peu floue.
Tout d'abord, vous souhaitez réduire nos impacts à l'échelle mondiale. Le constat est partagé : la désindustrialisation a eu pour conséquences économiques et sociales, en France, la perte de millions d'emplois, mais aussi d'un savoir-faire et d'une expertise. Pour autant, nous ne pouvons pas reconquérir les marchés n'importe comment.
L'état des lieux du réchauffement climatique et les rapports consternants du Giec sur la disparition de milliers d'espèces animales et végétales nous obligent à faire preuve de raison et d'anticipation. Nous avons la responsabilité de faire face à ces défis.
Au-delà du drame humain, le contexte de la guerre en Ukraine, mais aussi les deux années de la crise covid nous rappellent que la France se trouve dans une situation de dépendance. La nécessité d'œuvrer de manière transversale au triptyque du développement durable – le social, l'environnement et l'économie – n'est donc plus à prouver.
Il serait opportun de réaliser une analyse post-covid. Prenons l'exemple des masques : des usines en France se sont transformées pour en fabriquer et constituer une nouvelle filière, car la Chine exportait moins. Quelques mois plus tard, nombre de commandes se sont reportées vers les pays qui produisent à moindre coût – et sont loin de répondre aux préoccupations environnementales –, ce qui a mis les usines françaises en difficulté.
Idem pour les agriculteurs : de nombreux Français ont découvert le marché local et la vente directe pendant les confinements et les ont oubliés quelques mois plus tard. Ils ont repris leurs habitudes en faisant leurs courses en grande surface, retenant le prix comme seul critère d'achat.
Quelles solutions sont-elles prévues pour pérenniser les activités et les rendre compétitives dans un marché mondial concurrentiel ?
Par ailleurs, comment connaître l'impact carbone lorsque les évaluations et les labels ne sont pas identiques ? À l'heure où les groupes ont compris l'intérêt d'une image verte, comment lutter contre le greenwashing ? Il est primordial de faire évoluer les marchés publics et de les affiner.
Enfin, allez-vous prévoir, avec l'Union européenne, des taxes fortes à l'arrivée en France quand les produits étrangers ont un bilan carbone négatif ? Même lorsqu'ils affichent – ce qui est rare – des procédés de fabrication respectueux de l'environnement, les milliers de kilomètres parcourus par ces produits les pénalisent à cet égard.
De telles taxes feraient augmenter les coûts et instilleraient de la loyauté dans la concurrence, car on ne peut pas imposer toujours plus de critères de qualité et environnementales aux entreprises françaises tout en faisant entrer en France et en Europe des produits qui n'y satisfont pas.
Côté fiscal, la France enregistre un déficit commercial sur les biens de 160 milliards d'euros et accumule chaque année près de 150 milliards d'euros de taxes, impôts et cotisations supplémentaires par rapport à ses voisins de la zone euro – sans parler des normes. Difficile, dans ces conditions, d'être compétitif !
Nous considérons qu'un éclairage doit également être apporté sur la formation des talents. Là encore, comment allez-vous procéder ? Quelles nouvelles filières comptez-vous créer ? Selon quel phasage ? Quelles évolutions prévoyez-vous pour la voie professionnelle, qui doit être une partie intégrante de votre projet ?
Je vous avoue ma surprise de voir l'un des amendements que j'ai déposés être considéré comme un cavalier législatif. C'est bien de construire des entreprises, mais sans expertise humaine, l'intérêt est moindre…
Nous nous interrogeons enfin sur la méthode. Il est beaucoup question de simplification, de démocratie participative et de procédures publiques innovantes. À l'issue de la mission d'information que j'ai présidée sur la démocratie représentative, participative et paritaire, qui a débouché sur le rapport d'information de notre collègue Philippe Bonnecarrère Décider en 2017 : le temps d'une démocratie « coopérative », ce dernier et moi-même avons proposé de créer une procédure continue de consultation du public qui couvre toutes les phases du projet d'infrastructure, sous l'égide d'un garant désigné par la Commission nationale du débat public (CNDP).
Cette recommandation est adaptable aux projets d'implantation d'industrie verte, car les réunions publiques que vous citez ne relèvent en rien de la coconstruction. En général, les projets sont déjà ficelés lorsqu'ils sont présentés aux habitants, lesquels le savent bien.
Messieurs les ministres, vous l'avez compris, de nombreuses questions demeurent à la lecture de ce texte. J'espère que le débat que nous allons avoir nous aidera à y voir plus clair. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu'au banc des commissions.)