M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de dresser un constat qui sonne comme un regret : il a fallu attendre le retour de la guerre sur le sol européen, aux portes de l'Union européenne, pour réaliser et surtout assumer officiellement que l'outil de défense dont nous disposons est, a minima, adapté au seul temps de paix.
Pourtant, avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, nous avons connu de sérieuses alertes. En 2021, deux exercices interarmées de simulation de conflits internationaux organisés avec les Américains et les Britanniques avaient permis de constater les limites capacitaires des forces françaises.
La commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale avait alors rappelé, en février 2022, qu'« en une quinzaine de minutes d'un premier combat, deux frégates avaient été envoyées par le fond et deux autres étaient neutralisées ». Elle poursuivait : « si nous extrapolions les pertes au regard de certains conflits aériens, il est manifeste que l'aviation de chasse française pourrait être réduite à néant en cinq jours ».
À qui la faute, me direz-vous ? Avouons-le : à tout le monde et à personne à la fois ! Ne voyez pas en cette formule une manière d'excuser une responsabilité, en la noyant dans une impéritie collective.
Nous avons, tous autant que nous sommes, péché par naïveté, persuadés que la construction européenne suffirait à nous préserver. Bercée par cette douce illusion de paix, la nation a laissé « filer » le budget de la défense, le réduisant à une variable d'ajustement.
Pourtant, selon les derniers classements publiés en mai dernier, la France dispose de la neuvième armée au monde et de la première dans l'Union européenne : quel paradoxe !
Après une LPM 2019-2024 à hauteur de 295 milliards d'euros, qui entendait combler les retards dans tous les domaines, des équipements en passant par la préparation opérationnelle, le renseignement ou encore la condition de la vie militaire, le temps des vaches maigres semble révolu.
Néanmoins, si nous nous accordons tous à dire que l'enveloppe de 413 milliards d'euros à partir de 2024 sur sept ans est substantielle, des incertitudes demeurent sur sa soutenabilité, ainsi que l'a rappelé notre rapporteur. Ainsi, l'étalement des cibles de matériel et la question de l'inflation, dont le coût serait d'ores et déjà estimé à 30 milliards d'euros, incitent à la prudence.
Quoi qu'il en soit, félicitons-nous d'avoir, en commission, réorganisé la variation des crédits dans le temps, sans pour autant modifier le budget global. Ils progresseront de façon rythmée et régulière de 47 milliards d'euros en 2024 pour atteindre 69 milliards d'euros en 2030.
Avec ce montant plancher à atteindre, la nation doit pouvoir garantir la crédibilité dans la durée de notre dissuasion nucléaire, transformer nos armées afin de conforter notre supériorité opérationnelle, renforcer la cohérence, la préparation et la réactivité de nos forces armées et, enfin, poursuivre l'attractivité et la fidélisation des militaires et des civils.
Je ne détaillerai pas les différentes enveloppes ni les nombreuses dispositions, notamment celles qui sont relatives aux opérations extérieures (Opex), avec la mise en place de la solidarité interministérielle, ou les garde-fous entourant le service national universel.
Je me félicite du fait que, au-delà de la prévision de 136 milliards d'euros pour la préparation et l'emploi des forces, l'entretien programmé du matériel et les soutiens, les services de renseignement du premier cercle bénéficieront de 5,4 milliards d'euros. De même, je me réjouis que 15 milliards soient consacrés uniquement à l'innovation et à la « dronisation » des forces.
Nos forces armées, quant à elles, bénéficieront de cibles de matériels dont nous pourrions élever l'influence au rang de fonction stratégique.
L'effort est notable pour la marine nationale avec les commandes de sept patrouilleurs de haute mer, de trois ensembles de chasseurs de mines et les perspectives d'un porte-avions de nouvelle génération à l'horizon de 2037.
Il en va de même pour l'armée de l'air, avec 137 Rafale d'ici à 2030 – j'espère que les engagements sur les dates seront tenus – et l'achat de six systèmes d'Eurodrone, ainsi que pour l'armée de terre, qui renforce de 2 milliards son budget munitions.
Il est apparu nécessaire de créer un régime d'apprentissage militaire et de promouvoir le lien nation-armées pour atteindre les objectifs quant à la cible de réserve fixée au plus tard en 2035.
C'est aussi dans le cadre de la promotion de ce lien fort nation-armées que la commission a créé un livret d'épargne souveraineté, destiné au financement de l'industrie de défense en complément de l'effort budgétaire.
En conclusion, en tant que représentants de la nation, nous nous félicitons des dispositions qui permettront de sacraliser le rôle du Parlement. À cet égard, la commission a renforcé les garanties de l'actualisation dans le temps de la LPM, en prévoyant de passer par le vote d'une loi. Quoi de plus logique ?
La LPM n'est pas seulement un texte égrenant une farandole de chiffres, dont l'accumulation peut rendre perplexe le commun des mortels. Elle appelle des ajustements et des évolutions, qui ne peuvent être les otages des orientations budgétaires.
Il appartient à la représentation nationale de veiller au respect des engagements pris pour la défense. Ensemble, mes chers collègues, nous devons la construire et la consolider.
Monsieur le ministre, c'est donc avec bienveillance que le groupe du RDSE abordera l'examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)