M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s'attache à notre âme et l'oblige d'aimer ? » Ces vers de Lamartine illustrent parfaitement la charge affective pesant, pour des individus ou tout un peuple, sur certains objets.
Qu'est-ce qui arrache un objet à sa banalité pour le hisser au rang d'œuvre d'art ou de bien culturel ? Ce peut être sa dimension esthétique, sa matière, son origine, son secret de fabrication ou simplement son parcours historique l'ayant fait passer dans les mains de telle ou telle personne illustre.
Nous ne pouvons nier l'apport culturel de l'art africain dans l'élaboration de notre propre culture. Il a permis en retour de repérer, et parfois de sauver de la destruction, du vol ou du trafic, certains biens africains, leur conférant ainsi une dimension culturelle qu'ils n'auraient pas eue.
Ce retour participe au rayonnement universel de culture française. Ce projet de loi concrétise un engagement fort du Président de la République formulé au Burkina Faso en novembre 2017 devant les étudiants de l'université de Ouagadougou : restituer à l'Afrique des biens culturels appartenant à son patrimoine.
Cette démarche s'inscrit plus largement dans le cadre d'une refondation des relations avec nos homologues africains. La coopération culturelle en est un des piliers majeurs. Il s'agit de permettre aux peuples africains d'avoir accès, chez eux, aux œuvres issues de leurs propres cultures et de leur civilisation, alors que 90 % de leur patrimoine se situe aujourd'hui hors du continent africain, essentiellement dans les musées européens.
Cette nouvelle impulsion démontre la volonté de la France d'établir une amitié renouvelée avec ses partenaires africains. Ce projet de loi vise, en outre, à mettre le droit français en conformité avec une politique de restitution réfléchie dans cette perspective. Il entend également autoriser une dérogation limitée au principe général d'inaliénabilité applicable aux collections publiques françaises, afin de laisser sortir ces objets des collections nationales dans le cadre d'un transfert de propriété.
Cette démarche mérite d'être éclairée par un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d'œuvres d'art extra-européennes.
Les précédents notables ont participé à l'affermissement de nos relations bilatérales, à l'instar des restitutions de la dépouille mortelle de la Vénus hottentote à l'Afrique du Sud en 2002 ou du transfert des têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2010.
Pour autant, ce projet ne vise pas à remettre en question ce principe d'inaliénabilité, ni même la vocation universaliste des musées français. Il ne s'agit pas de vider nos collections ; ces restitutions sont limitées à certaines œuvres et doivent le rester. Elles répondent à des demandes précises des pays, et s'effectuent avec des garanties de bonne conservation. En effet, le Sénégal et le Bénin bénéficient d'ores et déjà d'une solide expertise et d'une volonté forte de valoriser leurs collections.
De plus, ces retours sont porteurs d'un message fort à destination de nos homologues africains. Il ne s'agit pas seulement d'un acte de diplomatie culturelle. Ce geste doit permettre de tourner la page de la Françafrique et participer à la construction d'un nouvel imaginaire, loin des souvenirs de nos conflits et de nos traumatismes.
En effet, nous restituons des objets soustraits à leurs pays d'origine sous la colonisation en l'absence de cadre juridique légal. Il est nécessaire de prendre conscience des enjeux mémoriels et d'accéder aux demandes légitimes des peuples africains de reconnexion avec leur patrimoine.
Car ces œuvres sont empreintes d'une forte charge symbolique, spirituelle et historique. Vingt-six œuvres du trésor royal d'Abomey, conservées par le musée du quai Branly-Jacques Chirac à la suite de leur don aux collections nationales par le général Alfred Dodds, seront restituées au Bénin. Elles constitueront les pièces maîtresses du futur complexe muséal d'Abomey, conçu en étroite collaboration avec l'Agence française de développement (AFD), qui viendra renforcer le développement touristique local.
Le sabre dit d'El Hadj Omar Tall, conservé par le musée de l'armée à la suite d'un don du général Louis Archinard, sera restitué au Sénégal. Actuellement prêté au musée des civilisations noires de Dakar, il en constitue déjà une des œuvres majeures.
Enfin, il s'agit d'un acte de confiance à destination de la jeunesse africaine, alors que 70 % de la population a moins de 30 ans. La France sera au rendez-vous pour aider le continent à relever les défis contemporains. Elle l'aidera ainsi à se réapproprier son histoire et à mettre fin à une forme de captation patrimoniale.
Les retours de biens culturels doivent ainsi s'intégrer dans une coopération patrimoniale et muséale étendue. Celle-ci pourrait passer par le déploiement de l'expertise de l'Agence France-Museums dans les pays africains ou le renforcement de la formation de leurs conservateurs et de leurs restaurateurs d'œuvres d'art.
Ce travail devra trouver un équilibre entre l'exigence de préservation du patrimoine présent dans les musées français et une circulation renforcée des œuvres par l'intermédiaire de restitutions, de retours ou de prêts, car les biens culturels universels n'ont pas de frontières puisqu'il s'agit du patrimoine commun de l'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)