M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c'est toujours avec une émotion certaine que nous nous retournons vers cette sombre période de notre histoire durant laquelle l'idéologie nazie a orchestré l'extermination du peuple juif et organisé sa spoliation.
La complicité de l'État français de l'époque nous oblige encore davantage envers les victimes et leurs descendants. De ce fait, ce projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 est attendu et mérite notre soutien.
Ce texte remet en question le principe d'inaliénabilité des biens culturels du domaine public, pour les restituer, au même titre que les biens MNR. Madame la ministre, profitons de cette occasion pour nous interroger sur une possible évolution des principes d'imprescriptibilité et d'inaliénabilité des biens culturels. L'inaliénabilité pourrait ainsi être fondée sur la seule dimension culturelle plutôt que sur la patrimonialité.
Inscrire les biens culturels dans un patrimoine mondial de l'humanité serait un remarquable message de concorde universelle, permettant à l'art et à la culture de jouer pleinement leur rôle d'éveil de conscience.
Le débat se porterait alors sur l'usufruit et la nue-propriété, ainsi que sur la localisation des œuvres d'art : dans les musées pour un dialogue interculturel et intergénérationnel, ou sur leur lieu d'origine, si celles-ci sont nécessaires à l'identité d'un territoire ou d'un peuple.
Si notre émotion est forte en évoquant les spoliations antisémites, cette reconnaissance et ces réparations doivent s'intégrer au sein d'un devoir de reconnaissance et de réparation plus vaste, englobant les spoliations réalisées à d'autres moments et en d'autres lieux, notamment durant l'époque coloniale.
Au cours des auditions, nous avons été alertés sur le risque de ressentiment qu'une loi spécifique aux spoliations antisémites pourrait alimenter si nous négligions concomitamment d'autres spoliations, remontant en particulier à la période coloniale. L'enfer est pavé de bonnes intentions, et nous devons aux victimes des persécutions antisémites et à leurs descendants de ne pas risquer d'en entrevoir la porte.
Agir en faveur d'une loi-cadre qui engloberait toutes les spoliations, sans stigmatiser aucune catégorie spécifique de victimes, élèverait la France au-dessus de contraintes administratives suspectes au regard de notre devoir de reconnaissance et de réparation des préjudices subis.
Nous accueillons positivement les avancées de ce projet de loi, pour ce qu'il apporte aux démarches légales de reconnaissance et de restitution.
Si l'octroi automatique du certificat d'exportation pour les œuvres spoliées importées sur notre territoire constitue une réparation juste, nous pourrions néanmoins nous interroger sur cette automaticité s'agissant des œuvres qui ne l'ont jamais quitté. Celles-ci pourraient en effet en sortir si les négociations n'aboutissaient pas, puisque l'autorisation de sortie s'imposerait alors.
Plutôt que la présence symbolique de parlementaires dans une CIVS reconfigurée, un véritable rapport annuel d'information des commissions de la culture du Parlement nous semble en outre indispensable, dès lors que le Parlement sera dessaisi de l'avis par l'adoption de cette loi.
Pour finir, madame la ministre, nous souhaitons que les moyens dédiés à la recherche de provenance soient véritablement garantis. Notre devoir de réparation nous y oblige. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)