Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous abordons en cette heure tardive un texte relativement technique. Pourtant, sa visée est simple et de bon sens. Je pourrais la résumer ainsi : nemo ex delicto consequatur emolumentum. Pour ceux qui n'ont pas leur Gaffiot à portée de main, je me permets de traduire – mais ceux qui ont écouté le garde des sceaux ont déjà la « réf » : nul ne doit tirer profit de son délit, ou, plus simplement, le crime ne saurait payer.
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Pour y parvenir, il revient notamment au législateur de rendre plus efficace l'application des mécanismes de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
En 2010, il y a presque quinze ans, la loi Warsmann avait marqué un tournant dans le domaine de la saisie criminelle. Notre pays s'était doté d'un dispositif normatif important en matière de saisie et de confiscation des avoirs criminels, offrant de larges possibilités opérationnelles et permettant de prononcer des sanctions patrimoniales significatives.
Comme souvent, lorsque le législateur introduit un nouveau type de mesure, il est bon d'y revenir quelques années plus tard afin d'ajuster et de renforcer ce qui peut l'être, ou au contraire d'abandonner ce qui ne fonctionne pas.
En 2019, les députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann ont rendu un rapport, Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner, dans lequel ils faisaient un bilan éclairant de cette procédure.
Je salue leur travail, car le domaine abordé n'est pas à la portée de chacun et il est impératif que nos réflexions et nos prises de position s'élaborent avec une connaissance suffisante. Je le souligne d'autant plus que nous regrettons souvent l'absence d'étude d'impact ou de bilan chiffré lorsque nous examinons une proposition de loi. Le président Gérard Larcher l'a d'ailleurs évoqué dans son allocution d'ouverture de la septième édition de la Journée des entreprises, qui a eu lieu jeudi dernier entre nos murs.
Nos collègues députés ont fait un constat qu'ils ont qualifié de « paradoxal » : si la politique actuelle d'identification, de saisie et de confiscation des avoirs criminels s'appuie sur un cadre législatif abouti, celui-ci demeure insuffisamment utilisé.
Ce qui a été institué en 2010 est performant, mais il n'est pas encore un réflexe pour les acteurs judiciaires, qui n'y recourent que dans des domaines trop spécifiques.
Les parquets constatent que les saisies sont largement circonscrites à la délinquance et à la criminalité organisées, qui se révèlent, plus que d'autres, génératrices de profits pour leurs auteurs. En revanche, dans la délinquance dite de moyenne intensité, il est à déplorer que le dispositif législatif, pourtant largement applicable, demeure trop rarement utilisé.
Si le cadre législatif est performant, il existe donc une marge de progrès pour que le recours à ces mécanismes de saisie et de confiscation cesse d'être perçu comme juridiquement complexe et chronophage.
Le texte que nous examinons aujourd'hui reprend plusieurs de leurs propositions, que notre rapporteure, Muriel Jourda, a pris le temps de nous énumérer. Ses travaux, dans le cadre de la commission des lois, ont été très précieux pour nous aider à bien cerner l'intérêt et la portée de ces différentes dispositions.
Nous saluons naturellement l'ensemble des avancées de nature à faciliter l'action des enquêteurs, des magistrats et de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Qu'il s'agisse de rendre systématique la notification à l'Agrasc de toutes les saisies effectuées et de toutes les décisions de confiscation prises par les juridictions de jugement, ou encore d'étendre la compétence de cette agence aux biens non restitués, ces mesures vont dans le bon sens et participeront à renforcer l'efficacité générale du dispositif de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
Nous saluons également les dispositions de l'article 3, ainsi que les améliorations apportées par notre rapporteure. Je pense notamment à la confiscation systématique et de plein droit des biens lorsqu'ils « ont servi à commettre l'infraction, ou étaient destinés à la commettre ou sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction ».
Je me réjouis de l'adoption d'un amendement que j'avais déposé en commission et qui tend à prévoir l'affectation des biens immobiliers saisis et confisqués aux services d'enquête, aux services judiciaires, à l'Office français de la biodiversité ou à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.
Nous ferons de nouveau des propositions par le biais d'autres amendements afin de contribuer à l'amélioration de ce texte.
Il n'en demeure pas moins que ces dispositions participent à la réaffirmation du pacte républicain en renforçant la réponse pénale et l'action judiciaire. Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)