M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj.
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M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai mon propos par une anecdote presque insignifiante dans la vie d’un parlementaire : voilà deux semaines, lors de l’examen de la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, j’ai déposé mon premier amendement, lequel visait à élargir la protection fonctionnelle.
Je me suis heurté à la règle de l’article 40 de la Constitution, interdisant qu’un amendement conduise soit à une diminution des ressources publiques, soit à la création ou l’aggravation d’une charge publique. Rien de plus banal.
En conséquence de cette irrecevabilité, j’ai pris la parole dans l’hémicycle pour interpeller la ministre, et j’ai obtenu du Gouvernement l’engagement d’étudier le sujet et de déposer un amendement au cours de la navette.
D’où un étonnement légitime : n’aurait-il pas été plus simple que nous examinions directement l’amendement sénatorial, plutôt que d’être réduits à attendre et espérer sans certitude un amendement du Gouvernement ?
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Ahmed Laouedj. Il y avait de quoi sortir frustré d’un tel échange.
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. Ahmed Laouedj. Bien entendu, la question de la recevabilité financière est celle de la maîtrise de la dépense publique. Cependant, sur ce point, nous faisons face à un premier paradoxe.
Comme chacun sait, le fondement de l’article 40 est de laisser au Gouvernement le privilège de la dépense publique, ce qui sous-entend que le Parlement n’aurait pas la pleine capacité de savoir ce qui est bon ou non pour notre budget.
Nous l’admettons. Ainsi, lors de l’examen des missions du projet de loi de finances, nous avons souvent du mal à évaluer le montant exact et réel des dépenses que nous proposons… Sauf qu’en laissant au Gouvernement ce privilège, la dette publique n’a jamais cessé de s’aggraver ! Les budgets présentés depuis des décennies n’ont jamais été réellement équilibrés.
Autrement dit, l’aggravation de la dépense publique que nous observons est produite uniquement par l’exécutif. Je crois qu’un tel constat doit nous amener à nous interroger sur la pertinence du critère financier comme argument dans la limitation du droit d’amendement.
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. Ahmed Laouedj. Notre frustration est donc légitime, tout comme l’est l’examen d’une solution radicale. Je pense ici à celle que proposent les auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle : l’abrogation de l’article 40 de la Constitution.
Pour autant, je ne crois pas que ce soit la meilleure réponse à apporter.
Je veux rappeler les mots de Michel Debré lorsqu’il présentait la future Constitution de la Ve République : « Le projet de Constitution, rédigé à la lumière d’une longue et coûteuse expérience, comporte certains mécanismes très précis qui n’auraient pas leur place dans un texte de cette qualité si nous ne savions qu’ils sont nécessaires pour changer les mœurs. » Parmi ces mécanismes, nous pouvons compter ceux qui entourent le droit d’amendement, et plus particulièrement l’article 40.
En guise d’exemple, nous avons tous souffert, l’an dernier, de la manière dont s’est déroulé l’examen du projet de loi de finances. Qu’avons-nous constaté ? Une inflation significative du nombre d’amendements, conduisant à des débats bridés.
J’en tirerai deux conclusions : d’une part, malgré l’article 40, nous sommes bien capables d’amender ; d’autre part, en dépit de limitations peut-être excessives, nous sommes tout de même capables de trop amender.
Si chacun avait su montrer, au cours de ces dernières décennies, de la mesure et un usage raisonnable et sans excès de son droit, limitant au possible les amendements d’appel ou ceux dont le sort qui leur serait réservé était si évident qu’ils n’avaient que peu d’intérêt à être discutés, alors peut-être aurions-nous pu envisager une ouverture du droit d’amendement.
Rien ne l’indique, hélas ! Certes, le droit d’amendement est essentiel à notre Parlement. Ce droit doit être protégé et défendu. Nous le disons avec d’autant plus de conviction que le RDSE est un petit groupe, qui compte grandement sur ce droit pour s’exprimer.
Mais, de manière paradoxale, c’est aussi parce qu’il est limité et encadré qu’il trouve encore une forme d’intérêt et de légitimité.
Ces limites ordonnent notre discussion et nos échanges. Elles frustrent souvent, mais, sans elles, chacun sait combien nous risquerions de perdre du temps à discuter autour de dispositifs irréalisables et de débats sans contenu concret.
Aussi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons majoritairement contre cette proposition de loi constitutionnelle.
Mme Nathalie Goulet. Je suis déçue !