M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous en tête l'extrait largement médiatisé d'une audition de la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.
Notre collègue rapporteure Éliane Assassi y interrogeait l'un des dirigeants de McKinsey France sur un contrat d'un montant de presque un demi-million d'euros pour évaluer « les évolutions du métier d'enseignant » et « accompagner » la Direction interministérielle de la transformation publique dans ses réflexions sur le métier d'enseignant. Un échange lunaire du point de vue tant des montants évoqués que des réponses de la personne auditionnée !
Alors, je peux le dire sans détour, toute critique que je pourrais faire sur ce texte ne sera qu'accessoire et marginale au regard de la grande qualité et de l'intérêt supérieur des travaux qui ont été menés par notre assemblée sur un sujet essentiel : la privatisation, volontaire, de la décision publique au profit de cabinets de conseil.
Les travaux de la commission d'enquête nous conduisent à nous interroger sur la vision que nous avons de l'État et de sa souveraineté face aux cabinets privés, d'une part ; sur la bonne utilisation des deniers publics, d'autre part.
À l'aune de notre attachement profond à un État fort et garant de l'intérêt général, toutes les mesures de cette proposition de loi vont dans la bonne direction, qu'il s'agisse de la publication – enfin ! – de la liste des prestations de conseil auxquelles l'État et ses opérateurs ont recours, de l'encadrement plus contraignant du recours aux consultants ou encore du renforcement des règles déontologiques des cabinets de conseil et des prérogatives de la HATVP.
Bien sûr, un tel texte, parce qu'il s'attaque à un sujet d'ampleur et complexe, soulève des difficultés. Je pense, en particulier, à la définition d'une « prestation de conseil ». L'article 1er de la proposition de loi comprend une liste synthétique des principes et des exceptions, qu'il serait tentant d'allonger de façon détaillée.
Notre collègue Jean-Pierre Corbisez avait d'ailleurs déposé un amendement en ce sens en commission visant à exclure du régime de contrôle les prestations des entreprises d'ingénierie, réalisées au titre d'une expertise technique. Cette précision n'était pas apparue superflue.
Mais nous comprenons aussi qu'elle n'ait pas été retenue. Les auteurs de la proposition de loi et notre commission ont fait le choix contraire de rester relativement souples. Dresser une liste exhaustive leur a paru impossible. Nous nous rangeons à leur avis pour donner à ce texte les chances d'une application rapide. Finalement, c'est le lot de toutes les qualifications juridiques que de comprendre des zones grises. Il revient aux acteurs, voire aux juges, de les analyser et de trancher au cas par cas.
Toutefois, il reste un sujet qui pose une réelle difficulté. Nous nous plaisons à rappeler que notre assemblée représente les territoires, conformément à l'article 24 de la Constitution.
Vous savez déjà, mes chers collègues, où je veux en venir. J'ai consulté quelques articles de presse sur l'examen de cette proposition de loi. Je n'en citerai qu'un : Le Sénat oublie ses électeurs. La critique est évidente, mais elle est surtout fondée, à une époque où la confiance dans les institutions politiques tend à s'étioler.
Je comprends évidemment les arguments qui ont conduit à exclure les collectivités locales du périmètre de ce texte pour ne retenir que l'État et ses administrations, mais ils donnent l'impression d'un refus d'obstacle.
Notre président Jean-Claude Requier a déposé un amendement visant à corriger cet écueil. Il tend à inclure dans le périmètre du texte les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l'exception des petites communes, ainsi que les intercommunalités, à l'exception des communautés de communes.
Nous en débattrons tout à l'heure, mais j'espère que nous ne nous cacherons pas derrière de faux problèmes légistiques, d'opérationnalité des seuils ou de mécanique juridique pour refuser cet aménagement.
Nos collectivités, elles aussi, méritent d'être protégées de l'intrusion excessive des cabinets de conseil et des consultants dans l'élaboration de leurs politiques publiques.
Chacun sait ici l'importance des décisions politiques prises sur nos territoires. Le renforcement de la décentralisation a conduit à donner un pouvoir considérable aux collectivités dans notre pays. Nous ne pouvons pas les exclure des réflexions sur la bonne utilisation des deniers publics. (Mme Nathalie Goulet s'exclame.)
Souvenons-nous du fameux précédent des emprunts toxiques, dont beaucoup de collectivités ont été les victimes. Elles en paient encore parfois le prix... Les responsabilités étaient multiples, mais c'est aussi parce que des élus étaient mal protégés contre l'avidité de certains cabinets de conseil ou établissements bancaires qu'ils n'ont pas pu prendre les bonnes décisions.
Toutefois, je veux aussi le redire, le débat sur l'inclusion des collectivités n'enlève rien à l'intérêt et à la grande qualité du texte. S'il faut l'adopter sans que celles-ci y soient incluses, nous le ferons. Dans cette perspective, j'invite notre assemblée à poursuivre ses travaux en s'engageant dans l'élaboration d'un régime encadrant également les collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)