M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre histoire a produit plusieurs lois d’amnistie, dès 1791, après mai 68, après la guerre d’Algérie, après les événements en Nouvelle-Calédonie. Il faut le répéter : celles-ci ont vocation à demeurer exceptionnelles.
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Or la proposition de loi que nous examinons prévoit des dispositions particulièrement larges, en fonction des circonstances. Son adoption n’aurait pas pour conséquence, je le crains, de contribuer à l’apaisement social, mais elle pourrait être facilement interprétée comme l’instauration d’un droit à la violence et à la commission de délits dans toute manifestation sociale.
Devons-nous prendre ce risque ? Est-ce là un modèle que nous souhaitons promouvoir ?
Le champ de l’amnistie prévue par l’article 1er est lui aussi très large, puisque peuvent être amnistiées les personnes morales et physiques pour des infractions commises « avant la promulgation de la présente loi ».
J’ai le plus grand respect pour celles et pour ceux qui, par leur action syndicale, associative et politique, ont fait notre pays et continueront de défendre des acquis sociaux pour le bénéfice de tous.
À l’épreuve des faits, cette amnistie serait-elle pour autant juste en toutes circonstances ? Faut-il essentialiser tous les mouvements et acteurs sociaux ? Prenons le cas de l’un des derniers mouvements sociaux connus. Peut-on dire que seul l’intérêt général ait animé les émeutes des mois de juin et juillet derniers ? Si une émotion sincère a entraîné son déclenchement, après des soirs d’émeute, il en est finalement resté la destruction et la souffrance sociale dans des villes et quartiers sans écoles, transports, magasins, services publics.
Pourtant, cette loi d’amnistie pourrait s’appliquer à ces événements, dévoyant la nature même des opinions légitimement défendues, dévoyant sans doute aussi vos propres intentions originelles, mes chers collègues.
Je crains par ailleurs que certains ne se drapent a posteriori dans un intérêt général soudainement révélé pour échapper à leurs responsabilités dans une approche bien individualiste, ce qui serait un comble et deviendrait préjudiciable à l’ensemble des forces associatives et syndicales de notre pays.
Je note que la proposition de loi contient quelques restrictions opportunes, comme celles qui visent les élus. Je doute cependant que celles-ci puissent suffire.
Il me paraît important d’évoquer les victimes et la réparation des dégâts. Il est prévu que, même en cas d’amnistie, les victimes conservent le droit de faire reconnaître le préjudice subi et d’en obtenir réparation. Y a-t-il vraiment réparation si l’on sait que l’infraction ne pourra plus donner lieu à des poursuites ou, si une condamnation est déjà intervenue, qu’un terme sera immédiatement apporté à son exécution ? Nous sommes en droit de nous poser la question.
Mes chers collègues, nous avons plus que jamais besoin que chacun reprenne sa place, que les juges et avocats puissent agir en toute conscience, que les acteurs sociaux et associatifs puissent négocier et agir dans la concertation, manifester quand il le faut et que les actions délictuelles puissent être jugées séparément, avec le plus grand discernement possible.
Pour cette raison, mes chers collègues, je ne crois pas que l’amnistie constitue un outil approprié. Vous l’avez compris, le groupe RDSE votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Claude Kern. Bravo !