Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est des sujets sur lesquels nous sommes amenés à nous exprimer régulièrement et qui font l'objet d'un constat unanime dans les travées de notre hémicycle. Les pénuries de médicaments et de vaccins en font partie, et nous ne désespérons pas de voir émerger à court terme des solutions concrètes, susceptibles de mettre fin à la situation dramatique que nous connaissons.
Cette situation, c'est une tension qui ne fait que croître de manière exponentielle depuis quelques années. Ce sont 404 médicaments signalés en rupture ou en risque de rupture en 2013, puis 1 500 en 2019 et déjà 2 400 pour 2020, soit six fois plus qu'en 2013.
Ces chiffres, nous ne cessons de les répéter, comme nous le rappelle le rapport de nos collègues Daudigny et Decool, dont les trente propositions ont conduit à la rédaction d'une proposition de loi que nous sommes nombreux à avoir cosignée.
C'est une autre proposition de loi que nous examinons aujourd'hui : si le constat est identique, la vision concernant les solutions à apporter diffère.
Sur le constat, je le disais, nous sommes d'accord, le sujet est grave. Nous remercions le groupe CRCE de le remettre sur la table et de nous donner une nouvelle occasion d'en débattre.
Les tensions d'approvisionnement sur les médicaments entraînent en effet des pertes de chances importantes pour les patients, sans compter le temps que doivent désormais y consacrer les professionnels de santé. On parle de 16 équivalents temps plein rien que pour l'AP-HP.
Ces tensions concernent en grande partie des produits matures et peu coûteux, mais aussi des médicaments anticancéreux, antibiotiques et antiparkinsoniens, essentiels pour les patients. Il est nutile de rappeler les conséquences la pénurie en anesthésiants au début de l'épidémie de Covid, ni celle du vaccin contre la grippe cet automne.
Les industriels proposent jusqu'ici des solutions qui ne sont pas satisfaisantes et sont incapables de répondre aux fluctuations, même attendues, de la demande.
Or il s'agit pour notre pays d'une question de souveraineté dans un domaine stratégique, je dirais même vital.
Nous dépendons depuis trop longtemps des fabricants étrangers, notamment asiatiques. Je me contenterai de citer l'Inde et la Chine. L'inaction passée nous a conduits à la situation actuelle, qui a fortement affaibli, au début de la crise sanitaire, notre système de santé. Et elle continuera de l'affaiblir si nous n'y remédions pas.
On ne peut pas dire que rien n'a été fait dans le domaine. Des actions ont été entreprises depuis 2016 par les gouvernements successifs : mesures de prévention et de gestion des ruptures de stock dans la loi de 2016, possibilité pour les pharmaciens de remplacer un médicament en rupture par un autre depuis 2019, plan de gestion pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et, bien sûr, la feuille de route 2019-2022 pour lutter contre les pénuries, dont les effets tardent à se faire sentir et dont nous attendons l'évaluation annuelle, telle qu'elle est inscrite à l'action n° 28.
En juin dernier, face à l'aggravation de la situation, le Gouvernement a présenté un plan d'action pour agir sur la relocalisation de sites de production de produits de santé, car c'est bien de cela qu'il s'agit dans la proposition de loi que nous examinons. C'est dans ce sens qu'il faut aller, mais dans le cadre d'une réflexion plus globale et d'une action coordonnée.
En effet, les tensions d'approvisionnement ont des origines multifactorielles, tout au long de la chaîne de production et de distribution, et ne sauraient être résolues par une solution unique.
La proposition de loi prévoit cinq actions, dont certaines suscitent de notre part certaines réserves. Si nous sommes tout à fait favorables au renforcement de la transparence, de la démocratie sanitaire et de l'éthique en la matière, nous sommes plus mesurés sur la création d'un pôle public du médicament et des produits médicaux, financé par une hausse de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises pharmaceutiques.
Nous doutons tout d'abord que cette hausse de taxe suffise à elle seule à financer une telle mesure. Nous craignons ensuite qu'elle ne vienne accentuer les délocalisations, en poussant les entreprises à fuir davantage notre pays. C'est un modèle de nationalisation que, à titre personnel, je ne partage pas.
Surtout, ce qui manque à cette proposition de loi, c'est la dimension européenne, qui est intrinsèquement liée à la question des pénuries de médicaments et de vaccins. Nous ne pouvons agir seuls sur ce sujet.
Le Gouvernement a pleinement identifié ce point, en travaillant à une coordination européenne pour renforcer notre autonomie stratégique en matière de santé et mieux faire face aux crises sanitaires. La commande groupée de vaccins contre la covid est une première étape indispensable, avant, je l'espère, la construction d'une véritable Europe de la santé, que nous appelons de nos vœux.
Toutefois, il aura fallu une crise sans précédent et plus de 50 000 morts en France pour faire bouger les lignes. Nous attendons une accélération de la dynamique enclenchée, car les tensions sont grandissantes et les attentes sont légitimes. La demande de résultats est pressante ; la situation ne peut plus perdurer.
S'agissant de la proposition de loi, si, sur le fond, notre groupe en partage l'analyse, nous doutons davantage de la faisabilité et de l'efficacité de la solution proposée.
Pour ma part, avec quelques collègues, je voterai contre ce texte. Toutefois, la majorité de notre groupe s'abstiendra, afin de soutenir le nécessaire appel à agir dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)