Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, on a coutume d'assigner à la France, souvent de manière hâtive, le trophée peu valorisant de « championne du monde de la grève ». Bien entendu, un tel jugement méconnaît assez largement notre histoire sociale, dont l'un des produits, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, a érigé à juste titre le droit de grève en droit fondamental.
Si ce droit doit être défendu sans concession, sa compatibilité avec le principe de continuité du service public n'en est pas moins fondamentale.
Or, si le contrôle de la circulation et de la navigation aériennes constitue bien un service public assuré par des fonctionnaires, ce dernier échappe de manière difficilement compréhensible à certaines règles de droit commun s'agissant du service minimum.
Cela a été dit, en 2012, la loi « Diard » avait instauré le principe d'un préavis individuel de grève de quarante-huit heures pour tous les salariés des entreprises ou établissements concourant directement à l'activité de transport aérien de passagers, en particulier lorsque leur absence est de nature à affecter la réalisation des vols.
Je pense pouvoir affirmer, mes chers collègues, qu'il est difficile de nier que les contrôleurs aériens participent au service public du transport aérien de passagers ! Extrêmement technique, cette profession est indispensable, à la fois, pour la souveraineté de notre espace aérien, pour la sécurité des passagers, pour la coordination des vols et pour la bonne tenue du ciel européen, dans lequel la France occupe une place centrale.
Or, cette profession n'est pas soumise au principe du préavis de grève individuel de quarante-huit heures, alors même que les mouvements sociaux qu'elle organise ont des conséquences massives pour nos concitoyens. La proposition de loi de notre collègue Joël Guerriau nous offre donc la possibilité de corriger cet oubli – va-t-on dire… –, en exigeant des contrôleurs aériens un préavis individuel de grève de quarante-huit heures, selon un alignement logique sur les règles auxquelles sont soumis les autres personnels participant directement à la réalisation du service de transport aérien de passagers.
J'en veux pour preuve le fait que les contrôleurs aériens n'ont jamais été entravés dans l'exercice de leur droit de grève. Le corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, ou ICNA, fait partie de ceux qui en font le plus grand usage dans la fonction publique d'État.
Entre 2004 et 2016, les contrôleurs aériens ont effectivement accumulé plus de 250 jours de grève, entraînant une perte d'environ 300 millions d'euros par an pour les compagnies aériennes, mais surtout des conséquences néfastes pour des millions de passagers. Et c'est sans parler des conséquences financières pour l'État. L'activité du contrôle est facturée aux compagnies aériennes au titre d'une redevance pour service rendu. Chaque journée dépourvue de contrôle coûte ainsi à l'État entre 3 et 4,5 millions d'euros. Et c'est sans parler non plus des conséquences et pertes financières pour le tourisme français, comme l'a indiqué mon collègue Joël Guerriau.
Cette situation, qui conduit la France à être responsable du tiers des retards dus aux contrôles en Europe, n'est plus acceptable !
Elle est d'autant moins compréhensible pour nos concitoyens que les contrôleurs aériens bénéficient de conditions de travail et de rémunération objectivement très favorables et déjà revalorisées en 2016 par le dernier protocole social de la DGAC. Si, naturellement, nous comprenons que cela soit cohérent avec les lourdes responsabilités dont les contrôleurs aériens ont la charge, il nous apparaît comme une juste contrepartie que nous puissions avoir une meilleure visibilité sur l'organisation de leurs grèves.
La mesure de l'enjeu dépasse largement les frontières nationales, puisque la France est le centre névralgique de la circulation aérienne en Europe, devant le Royaume-Uni et l'Allemagne.
Nous disposons, en effet, du premier espace aérien du ciel européen, avec plus de 8 600 contrôles effectués chaque jour, chiffre dont l'augmentation est constante depuis maintenant plusieurs années. C'est d'ailleurs pour cette raison que le « coût temporel » d'un jour de grève sur le trafic est beaucoup plus important en France – 35 000 minutes environ – qu'en Allemagne, en Italie ou en Grèce. Au-delà des questions intérieures, cette position nous impose donc une forme de responsabilité, qui, pour commencer, exigerait une amélioration de l'information sur l'organisation des mouvements sociaux dans le secteur aérien.
Pour toutes ces raisons, une large majorité du groupe du RDSE soutiendra la proposition de loi du groupe des Indépendants – République et Territoires.
Toutefois, nous attirons l'attention sur la nécessité d'explorer les autres pistes suggérées par notre collègue Vincent Capo-Canellas pour améliorer l'état du trafic aérien en France, notamment dans le cadre du prochain protocole social de la DGAC. Nous pensons, par exemple, à la réforme en profondeur des rythmes de travail des contrôleurs aériens, dont les effets attendus en termes de fluidification du service sont particulièrement prometteurs.
Pour Henri Bergson, mes chers collègues, un problème bien posé était un problème à moitié résolu. Nous avons fait la moitié du chemin, en discutant de ce sujet ; ayons le courage de parcourir l'autre moitié, en votant cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)