Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la consécration de l'action de groupe en droit français a été tardive.
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Son refus a d'ailleurs été plus souvent dogmatique que juridique.
Il s'est tout d'abord agi d'un refus de principe : on lui opposait l'adage suivant lequel « nul ne plaide par procureur ». On a invoqué, ensuite, de prétendus motifs techniques, telle la difficile identification des personnes bénéficiaires de l'action. On a voulu y voir, enfin, une atteinte au principe de l'égalité des armes au cours du procès, en raison de la méconnaissance par le défendeur de l'identité des demandeurs.
Les études sur les résistances du système juridique français à accueillir la class action en son sein sont à présent suffisamment riches et détaillées pour nous faire admettre qu'un tel refus ne saurait continuer d'être opposé à ce mode de recours.
S'il fallait encore nous en convaincre, le droit comparé suffirait en un rien de temps à montrer que certains dogmes n'ont pas fait illusion dans l'esprit du législateur étranger : je pense au modèle américain bien sûr, mais aussi à ceux du Québec, de l'Argentine, du Brésil, du Portugal, de l'Angleterre, ou encore de l'Espagne et de la Suède.
Le législateur français a fini par franchir le cap avec la loi du 17 mars 2014, qui a donc introduit dans notre droit une procédure d'action de groupe.
D'abord trop cantonné, ce mode de recours fut ensuite progressivement enrichi via l'extension des matières dans lesquelles il peut s'appliquer. Citons par exemple la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, qui a introduit l'action de groupe en ce domaine.
Cependant, dix ans après, je rejoins les auteurs du présent texte sur le constat qu'ils ont dressé dans leur rapport de 2020 : le bilan de cette procédure est décevant.
Aussi cette proposition de loi, malgré son caractère aride et technique – mais, après tout, c'est souvent le propre du droit ! –, est-elle indéniablement nécessaire.
Je souscris à l'essentiel de son contenu, car il faut bel et bien unifier dans un seul texte le régime juridique du recours.
Cependant, tout comme j'ai pu souligner, il y a encore quelques jours, à cette même tribune, mon attachement à la lisibilité du droit en tant que rapporteure de la proposition de loi dite Balai III – issue des travaux du bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles –, je reste dubitative face au choix qui a été fait, conformément, certes, à la recommandation du Conseil d'État, de ne pas introduire toutes ces dispositions au sein d'un seul code.
Au-delà de cette remarque, le groupe du RDSE reste favorable à un usage modéré et encadré de la procédure d'action de groupe.
Les raisons d'une telle retenue sont connues, là encore : il est impératif, d'une part, d'éviter toute forme de marchandisation de l'action judiciaire et, d'autre part, de contenir un accroissement excessif du risque judiciaire pour les entreprises.
C'est aussi pour cette raison que nous saluons l'équilibre du texte dont nous débattons.
L'action collective doit être laissée à des associations, afin d'empêcher tout risque de marchandisation, c'est-à-dire de conjurer l'une des dérives observables du modèle américain.
Ce constat justifie également que les associations ayant qualité pour engager une action doivent répondre à certains critères. Nous suivrons donc la position du rapporteur, qui n'a souhaité ouvrir ce mode de recours qu'à des associations soumises à un agrément.
Reste la question de l'amende civile, disposition que proposaient nos collègues députés et que notre commission a souhaité ne pas conserver.
Nous comprenons évidemment le sens et l'opportunité de ce dispositif, s'agissant de sanctionner l'auteur d'un dommage lorsqu'il a délibérément commis une faute en vue d'obtenir un gain ou une économie et lorsque la réparation du préjudice ne suffit pas à neutraliser le profit qu'il a réalisé.
Sur ce point, nous aurions tendance à suivre l'avis émis tant par le Conseil d'État que par notre rapporteur, chacun de son côté ayant exprimé de fortes réserves quant à la création de cette sanction civile, notamment parce qu'elle n'a pas été précédée d'une évaluation approfondie de ses effets dans chacun des domaines concernés.
Pour conclure mon propos, je souhaite évoquer une dernière difficulté qui a trait à l'application de la future loi. Nous avons été alertés par de nombreux professionnels au sujet de l'article 3, qui restreindrait le nouveau régime de l'action de groupe aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement allégué est postérieur à l'entrée en vigueur du présent texte.
Cette disposition pose de véritables difficultés, notamment en matière de discrimination. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles, mais je suis convaincue que nous ne pouvons pas laisser le texte en l'état.
C'est pourquoi je défendrai un amendement visant à ce que les justiciables puissent profiter de cette nouvelle procédure sans attendre. J'observe d'ailleurs que le rapporteur a lui aussi…
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. … eu la même idée ! (Sourires.)
Mme Nathalie Delattre. … déposé un amendement en ce sens.
Cette remarque étant faite, mes chers collègues, vous aurez compris que notre groupe se prononcera en faveur de ce texte.