Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, il y a « urgence démocratique ! » C’est par ces termes que les entreprises de presse ont évoqué, dans une tribune du 17 avril 2018, la reconnaissance de droits voisins comme condition indispensable à la consolidation de l’avenir de la presse.
Je félicite notre collègue David Assouline pour cette proposition de loi ainsi que pour sa constance dans la défense de cette question cruciale pour notre économie comme pour la qualité de l’information.
Le moment est particulièrement bien choisi pour soutenir cette proposition. Depuis que nous savons que les tractations qui devaient avoir lieu il y a trois jours ont été ajournées faute d’accord, nous souhaitons renouveler notre entier soutien aux négociateurs français, afin qu’ils aboutissent à une solution communautaire, dans les derniers mois qu’il leur reste.
Les différends opposant les États membres doivent se régler au plus vite, car les plateformes et autres moteurs de recherche tireraient avantageusement parti de tels désaccords au détriment, malheureusement, des agences, des éditeurs de presse et des journalistes.
Si nous défendons, bien évidemment, la position française dans la négociation à Bruxelles, nous soutenons aussi la possibilité d’aboutir à une législation nationale en cas d’échec de ces négociations.
Je regrette que le projet de directive ait été la cible d’une campagne de lobbying massive et parfois mensongère menée auprès de l’opinion publique et des députés européens. Ces derniers auraient reçu des milliers de mails les appelant à voter contre le texte pour « sauver internet »… La directrice générale de YouTube a qualifié le projet de « liberticide », au motif qu’il imposerait aux plateformes le filtrage des contenus, ce que ne prévoit nullement la directive.
Très actif également, Google s’est offert des encarts publicitaires dans de grands journaux français pour faire part du risque d’une réduction de la diversité des contenus accessibles en ligne en cas de vote de la directive, puis est passé à l’action, la semaine dernière, en tronquant les résultats des recherches, et, enfin, relaie sur les réseaux sociaux son message Together for copyright, sous forme de chantage, prenant en otage l’opinion publique.
Ce mode de pression a également été observé lors des expériences nationales conduites en Allemagne et en Espagne, qui se sont soldées par des échecs, parce que les « infomédiaires » ont utilisé leur puissance dans un rapport de force articulé souvent autour de la menace du déréférencement.
Il manquait sans doute également à ces tentatives nationales une gestion collective de ces nouveaux droits voisins, afin de renforcer les éditeurs face à ces « infomédiaires » dans les négociations, ce que n’oublie pas de faire cette proposition de loi.
Il est tout aussi probable que ces deux pays, isolés, n’étaient pas en mesure de peser suffisamment dans le rapport de force. C’est la raison pour laquelle nos négociateurs doivent persévérer jusqu’à ce que l’accord soit conclu au niveau européen. Il faudra sans doute y passer quelques nuits !
À l’heure de la diffusion massive des fausses nouvelles, il est essentiel de maintenir la qualité de l’information, garantie par le statut même des éditeurs et agences de presse. Or l’existence de ceux-ci est aujourd’hui gravement menacée : quelque 29 % des agences ont disparu au cours des huit dernières années… Dans leur sillage, tous les journalistes sont touchés, et avec eux leur travail et leurs exigences déontologiques, qu’il nous faut protéger.
Puisqu’il nous faut soutenir la capacité des éditeurs de presse à financer et à valoriser au mieux le travail journalistique, je suis également favorable à la renégociation, prévue par cette proposition de loi, de la rémunération des journalistes, pour qu’ils puissent bénéficier des versements au titre des droits voisins.
Plus globalement, nous devons faire entrer les plateformes et les moteurs de recherche dans un cadre démocratique, qui suppose non seulement qu’ils consentent à l’impôt, mais aussi qu’ils assument leurs responsabilités.
Nous avions défendu avec force, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, l’article visant à mettre en place une fiscalité effective des GAFA, adopté par notre assemblée à une très large majorité. Nous soutenons également la position de la France sur le projet de directive instaurant une taxe sur les services numériques, présenté par la Commission européenne, qui prévoit de taxer le chiffre d’affaires des GAFA. À cet égard, la mise en place, en cas d’échec des négociations, d’une telle taxe au niveau national cette année, défendue par le Gouvernement, nous semble une position courageuse.
En tant que rapporteur de la commission de la culture sur les crédits de la mission « Livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2019, j’ai défendu les avancées indéniables que la directive sur le droit d’auteur prévoit en matière de propriété intellectuelle sur internet. Il s’agit aujourd’hui pour nous, à travers le soutien que nous apportons à ce texte et aux négociations européennes, de rééquilibrer le rapport de force et le partage de la valeur en faveur des éditeurs, des agences de presse et des journalistes.
Mes chers collègues, j’espère que le Sénat, dans sa grande sagesse, se prononcera en faveur de cette proposition de loi, unanimement adoptée par la commission de la culture, afin de marquer clairement le soutien de la Haute Assemblée à la position française défendue à Bruxelles pour la création des droits voisins ! (Applaudissements.)