Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dès 2013, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme en raison des conditions de détention d'un détenu qui, à la différence de nombreux autres demeurés silencieux, avait porté sa réclamation jusqu'à l'une des instances internationales les plus influentes.
Permettez-moi de rappeler quelques éléments qui furent relevés à l'occasion de cette décision au sujet des conditions de détention : les toilettes n'avaient pas de porte ; la chasse d'eau fuyait, il n'y avait donc pas de pression et rien ne s'évacuait ; près du lavabo, une prise électrique pendait ; les lits superposés, normalement scellés au mur, ne l'étaient plus, ce qui entraînait des risques de chute ; le local des douches était insalubre avec seulement une petite fenêtre et aucun système d'aération ; des cafards couraient partout.
Cette description est absolument édifiante, mais nous ne l'apprenons pas aujourd'hui. En plus d'un phénomène de surpopulation, le milieu carcéral est insalubre.
En cette Journée internationale des droits des femmes, j'aurai également une pensée pour les nombreuses femmes détenues dans notre pays qui subissent des conditions similaires.
Évidemment, il n'est nullement question de remettre en cause le principe même de l'incarcération. Aux délits sont associées des peines, parmi lesquelles la prison. Cependant, celle-ci ne peut pas avoir pour fonction d'humilier les détenus. Nous devons tous avoir à l'esprit que chacun a vocation à en sortir. Nous espérions que ce constat et cette condamnation, en 2013, permettent d'améliorer l'état de nos prisons. Tel n'a pas été le cas.
Pis, en plus de subir des conditions de détention indignes et de souffrir des conséquences de la surpopulation carcérale, les détenus ne disposent d'aucun moyen de les faire cesser. En raison de cela, la France a été condamnée une première fois par la CEDH en mai 2015. C'est également pour ce motif qu'elle l'a été une nouvelle fois en 2020. Dans cette dernière décision, les juges européens ont rappelé trois objectifs à l'État français : supprimer le surpeuplement dans les établissements pénitentiaires ; améliorer les conditions de détention ; établir un recours effectif.
Ce tableau, que je viens brièvement de dépeindre, n'est pas à l'honneur de notre nation. Aussi, il y a lieu de se réjouir de l'initiative du Sénat qui vise à y mettre fin. Cette proposition de loi est évidemment la bienvenue. Je salue à cet égard l'auteur de ce texte, auquel le groupe du RDSE souscrit.
Toutefois, gardons à l'esprit que le fait de renforcer les droits des prisonniers ne revient pas à ce que les prisons soient moins saturées ni à ce que les cellules soient dans un meilleur état afin de respecter la dignité des hommes et des femmes qui s'y trouvent. Un droit de recours effectif ne répare pas des canalisations bouchées, pas plus qu'il ne désinsectise une cellule ou qu'il ne permet d'aérer des douches collectives.
Déplacer les détenus d'une maison d'arrêt à une autre, comme par un jeu de chaises musicales, ne permet pas non plus de réduire le nombre de détenus par maison d'arrêt.
Tout cela est et demeurera une question de moyens matériels, bien au-delà des moyens juridictionnels.
Renforcer les droits des prisonniers est une chose ; s'assurer que leur place est réellement en prison en est une autre. Le Sénat y travaille aussi, et nous aurons d'ailleurs demain les conclusions de la mission d'information sur l'expertise psychiatrique en matière pénale de nos collègues Delattre, Roux et Sol.
Pour conclure, je dirai que la procédure qui nous est présentée, pour être effective, devra nécessairement être plus rapide. Si nous voterons ce texte, nous resterons néanmoins vigilants par la suite sur l'état réel des conditions de détention.