Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, consacré comme un « art précieux à l’humanité » par la déclaration royale du 25 avril 1777, l’exercice de la pharmacie a évolué au fil des siècles et le rôle du pharmacien s’est progressivement renforcé.
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Devenu un acteur incontournable du parcours de soins, il n’est plus seulement celui qui délivre des médicaments. Ses missions se sont en effet multipliées ces dernières années : renouvellement d’ordonnance en cas de maladie chronique, vaccinations, dépistages, mise à disposition de cabines de téléconsultation, etc.
La délivrance d’antibiotiques pour les infections urinaires simples et les angines viendront très prochainement élargir ces nouvelles compétences, comme l’a rappelé, le week-end dernier, le Premier ministre.
Les missions du pharmacien devraient de nouveau s’enrichir dans les années à venir, notamment sur la base des conclusions d’une expérimentation en cours depuis 2021.
Toutes ces mesures ont un seul et même objectif : simplifier l’accès aux soins des Français. Mais encore faut-il que nos concitoyens puissent avoir une pharmacie à proximité.
Or, depuis 2007, notre pays en a perdu plus de 4 000. L’année dernière, le caducée de 276 officines a cessé de s’illuminer. Jamais la France n’avait connu un tel rythme de fermetures.
Alors que le nombre de pharmacies est désormais passé sous la barre des 20 000, cette évolution nous inquiète.
Pour autant, ce phénomène n’affecte pas toutes les communes dans les mêmes proportions. Si, dans les grandes villes, la suppression de pharmacies a peu d’incidences, elle est en revanche préoccupante dans les petites communes, qui ont bien souvent déjà vu partir le médecin généraliste.
La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) considère en effet que de « 3 à 5 % de la population française vit aujourd’hui dans des territoires considérés comme fragiles au regard de leur offre pharmaceutique ».
Sans officine à proximité, les patients sont contraints d’effectuer des kilomètres pour se rendre dans la pharmacie la plus proche, ce qui devient très compliqué pour les personnes âgées, les personnes à mobilité réduite et celles qui n’ont pas de moyen de transport, notamment en milieu rural.
Cette situation n’est évidemment pas sans conséquence sur la qualité des soins et le suivi des patients. Une récente étude sur la santé en milieu rural le souligne : les écarts d’espérance de vie entre départements ruraux et départements urbains s’aggravent pour atteindre désormais près de deux ans d’espérance de vie pour les hommes et un an pour les femmes. Cette étude, menée par l’Association des maires ruraux de France (AMRF), doit nous interpeller.
Au-delà de l’enjeu sanitaire, c’est également le dynamisme des zones rurales qui est remis en cause. La pharmacie est l’un des tout premiers commerces de proximité, dans lequel entrent quotidiennement plus de 4,5 millions de nos concitoyens. Les fermetures d’officines contribuent à l’isolement des habitants et à la désertification de nos campagnes, en décourageant les jeunes familles et les professionnels de santé de s’y installer.
Dans ces conditions, comment voulez-vous revitaliser ces territoires ? C’est une mission quasi impossible !
L’implantation des pharmacies est réglementée depuis 1941 pour assurer une bonne répartition « démo-géographique » sur l’ensemble du territoire. Elle repose globalement sur l’application d’un quota par rapport au nombre d’habitants ou à une clientèle potentielle. Bien qu’ils soient régulièrement revus, les seuils démographiques ne correspondent plus, aujourd’hui, à la réalité du terrain.
Deux dispositifs ont été proposés ces dernières années pour maintenir l’accès aux médicaments dans les territoires les plus sinistrés.
Le premier, l’ordonnance du 3 janvier 2018, a ainsi prévu d’assouplir les règles d’ouverture dans les territoires où l’accès à une pharmacie n’est pas assuré de manière satisfaisante. L’ouverture, par voie de transfert ou de regroupement, d’une officine dans une commune de moins de 2 500 habitants est ainsi possible si celle-ci est située dans un ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine.
Deux conditions sont toutefois nécessaires : il faut que l’une de ces communes recense au moins 2 000 habitants et que l’ensemble de ces communes rassemblent au moins 2 500 habitants.
La loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi Asap, a quant à elle autorisé, à titre expérimental, la création d’une antenne d’officine par un ou plusieurs pharmaciens titulaires d’une commune limitrophe lorsque la dernière officine de la commune d’accueil a cessé son activité et que l’approvisionnement en médicaments et produits pharmaceutiques de la population y est compromis.
Aucun de ces dispositifs n’est à ce jour appliqué.
Monsieur le ministre, permettez-moi plusieurs remarques.
L’ordonnance de 2018 prévoyait que le décret identifiant les territoires dits fragiles soit publié avant le 31 juillet 2018. Cela fait plus de cinq ans que nous attendons sa publication. Comment justifier un tel retard ?
Alors que la France compte un peu plus de 29 000 communes de moins de 2 000 habitants, je ne suis de toute façon pas certaine que cet assouplissement réponde réellement aux défis de nos territoires.
Si je prends l’exemple de mon département, moins de vingt communes seulement comptent plus de 2 000 habitants, alors que la plupart des autres en comptent entre 20 et 900.
Surtout, il est de plus en plus fréquent que de petites officines soient rachetées par des pharmacies de plus grande taille, qui les ferment quelques mois plus tard.
Dans un rapport publié en 2016, les inspections générales des finances et des affaires sociales relevaient ainsi que « près de la moitié des fermetures d’officines sont […] le résultat d’initiatives de pharmaciens désirant restructurer l’offre locale via des regroupements et rachats-fermetures ». Voilà qui est joliment dit…
De tels comportements conduisent à créer des inégalités d’accès aux soins, les communes rurales étant souvent les premières touchées par ce phénomène.
Dans mon département, en moins de six mois, trois pharmacies situées dans trois territoires différents ont été rachetées dans le seul objectif de les fermer pour éviter la concurrence avec les territoires voisins.
Cette tendance s’accompagne de l’impossibilité, pour les maires de commune de moins de 2 500 habitants, de rouvrir des pharmacies dans leurs territoires.
J’ai donc décidé de déposer cette proposition de loi pour nous pencher sur la question de la réorganisation territoriale du réseau d’officines, en particulier dans nos territoires ruraux et de montagne.
Nous souhaitions assouplir les conditions d’ouverture des officines pour faciliter leur installation dans des communes faiblement peuplées. Le dispositif initial autorisait une telle ouverture dans les communes de moins de 2 500 habitants à deux conditions : que la commune se situe dans une zone géographique constituée d’un ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine ; que ces communes totalisent ensemble au moins 2 500 habitants. L’assouplissement n’était pas exceptionnel…
Lors des auditions, notre rapporteure Guylène Pantel, dont je tiens à saluer le travail et les négociations qu’elle a menées sur ce texte, s’est heurtée à l’opposition des syndicats de pharmaciens, qui nous accusaient de vouloir « désorganiser le réseau ».
Il nous fallait alors trouver une solution consensuelle qui nous permette d’avancer sur le sujet et qui soit acceptée par tous.
C’est pourquoi l’article unique a été réécrit pour demander au Gouvernement de publier le décret nécessaire à l’application du dispositif Territoires fragiles avant le 1er octobre, sans quoi il appartiendra aux directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) d’identifier lesdits territoires fragiles.
Adopter cette proposition de loi permettra de résoudre un certain nombre de situations difficiles. Au sein des territoires fragiles, l’ouverture de pharmacies d’officine dans les communes rurales sera facilitée et des aides pourront être octroyées pour favoriser leur maintien.
Pour autant, permettez-moi de partager notre frustration. Il est en effet à craindre que le dispositif proposé par notre rapporteure, et que nous avons accepté dans un souci de consensus, ne puisse apporter qu’une réponse partielle à la désertification pharmaceutique à laquelle nous souhaitions apporter une réponse globale au travers de notre proposition de loi.
C’est la raison pour laquelle nous apporterons notre soutien aux amendements de notre collègue Cédric Vial, qui, dans son territoire, est confronté aux mêmes problématiques de désertification pharmaceutique. Leur adoption permettrait, nous semble-t-il, d’aboutir à un texte plus affirmé.
Monsieur le ministre, quelle que soit l’issue de nos débats, ce texte doit nous amener à réfléchir à la suite, car – j’y insiste – le problème reste entier.
Si les membres du groupe RDSE ne sont pas indifférents aux questions démographiques qui touchent la profession non plus qu’aux considérations de viabilité économique des officines, notre devoir de sénatrice et de sénateur est aussi de veiller à l’aménagement de notre territoire et aux conditions d’accès aux soins de nos concitoyens. Cela, pour nous, est essentiel et primera toujours les considérations financières et corporatistes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)