Intervention de Josiane Costes
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la discussion que nous avons aujourd'hui se justifie par la multiplication d'actes de militants antispécistes contre des lieux et des activités symboliques de la filière viande, comme les parties de chasse, les élevages bovins ou autres, les abattoirs et les boucheries.
Le respect de l'autorité de la loi et des droits qu'elle consacre a toujours été défendu par le groupe RDSE. Nous condamnons donc toujours les débordements que l'on observe – boucheries vandalisées et d'abattoirs incendiés. Ce sont des atteintes aux biens défendues par le code pénal, qui méritent d'être poursuivies et sanctionnées. Elles le sont d'ailleurs déjà, dans les conditions que permet notre système carcéral à bout de souffle, une réalité administrative qui n'échappe à personne ici.
Notre rapporteur nous a indiqué ce matin avoir reçu la confirmation de la Chancellerie que des instructions avaient été transmises, afin de mieux sanctionner les entraves lorsqu'elles entrent dans le champ de l'article 431-1, ainsi que les intrusions, les vols et violences avérés. C'est donc la preuve que notre collègue Jean-Noël Cardoux a été entendu et que le droit en vigueur permet déjà, à lui seul, à condition d'être mieux appliqué, de protéger les intérêts des professionnels concernés.
Conformément aux arguments juridiques de clarté de la loi pénale et de proportionnalité qui ont été avancés en commission des lois, nous nous inquiétons des atteintes aux libertés d'expression et de manifestation qui pourraient en résulter, y compris d'ailleurs pour les professions que la proposition de loi vise à protéger ! Ces réserves ont d'ailleurs donné à un premier rejet du texte par la commission des lois.
Pour y remédier, la proposition de loi remplace les termes « à l'aide de menaces » par les termes « par tous moyens ». En outre, la notion de délit d'entrave serait étendue, cette fois aux actions visant à « empêcher la tenue de tout événement ou l'exercice de toute activité autorisée par la loi ».
La mention « par tous moyens » pourrait donner lieu à des interprétations plus extensives dans les juridictions, alors que la rédaction actuelle bénéficie d'une interprétation stable et restrictive.
En commission, nos voix ont été à l'unisson pour s'opposer à l'adoption de dispositions pénales manquant de caractérisation, donc de clarté.
Dans la même veine, le principe de proportionnalité des peines, constitutionnellement garanti, s'oppose à ce que soient sanctionnées de la même manière des entraves à l'exercice des libertés fondamentales et celles d'activités de loisirs ou encore toute autre activité, simplement parce que celles-ci seraient « autorisée[s] par la loi ».
Par ailleurs, lorsque l'article 431-1 a été inséré dans le code pénal, l'objectif était de créer un délit spécifique pour sanctionner la perturbation de l'exercice de certaines libertés fondamentales, avec des garde-fous : il faut prouver une action concertée et l'existence de menaces. En plus de cet article existent d'autres dispositions pénales permettant de condamner les auteurs de violences ou menaces de violences.
En définitive, si nous nous indignons face à tout ce qui fait obstacle à l'exercice de libertés, une majorité du groupe RDSE considère qu'il n'est pas opportun d'élargir le champ d'application de l'article 431-1 du code pénal.
Or les dispositions de l'amendement Prince, qui ont obtenu l'avis favorable de la commission des lois ce matin, ne permettent pas de lever toutes nos inquiétudes. Leur adoption rajouterait en effet un risque d'instabilité jurisprudentielle, en insérant les notions d'« obstructions ou intrusions ». En outre, elles ne restreignent pas suffisamment l'application du délit d'entrave aux activités sportives ou de loisir. La notion d'activité « exercée dans un cadre légal » nous paraît trop vaste.
Nous sommes toutefois désireux d'apporter une réponse utile au problème posé par ces « obstructions ou intrusions », qui sont une source d'angoisses pour nos concitoyens sur le terrain.
C'est pourquoi nous proposons de différer ce débat, afin de nourrir une réflexion plus approfondie sur la façon de faciliter les modalités d'indemnisation des personnes lésées par ces comportements d'obstructions très pénalisants. Cela permettra d'ailleurs de mieux associer les représentants des activités concernées, ainsi que les acteurs chargés de l'application du texte.
Des voies de recours sont déjà prévues en matière commerciale et pourraient par exemple être étendues aux chasseurs en s'inspirant de la jurisprudence du 5 juillet 2018 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Celle-ci reconnaît ainsi que « l'impossibilité psychologique de pratiquer une activité de loisirs constitue un préjudice d'agrément indemnisable ». Ces pistes, comme d'autres que nous pourrions explorer, nous paraissent plus adaptées aux attentes exprimées.