M. Michel Masset, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il était temps ! Vingt ans après son arrivée, il était temps de retracer le parcours d’un insecte qui, malgré sa taille modeste, pose d’importants problèmes.
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L’histoire de l’apparition du frelon asiatique à pattes jaunes sur le sol européen pourrait être cocasse si ses conséquences n’étaient pas dramatiques. Le vespa velutina nigrithorax est originaire d’Asie, il est présent de manière endogène de l’Afghanistan à la Chine.
Son introduction en France aurait eu lieu lors de l’importation de poteries depuis la Chine. Une reine se serait nichée dans un emballage et se serait enfuie à son ouverture, dans le Lot-et-Garonne, à deux pas de ma commune.
De cette unique reine, importée par malchance, a découlé une expansion phénoménale. Les deux premiers nids ont été recensés à Tonneins en 2004, après que des habitants les ont détruits au fusil de chasse, une pratique dangereuse à ne surtout pas reproduire.
En 2006, deux ans plus tard, l’insecte est déjà observé dans treize départements alentour. En 2009, 1 600 nids sont recensés dans trente-deux départements. En 2012, cinquante-six départements sont touchés. En 2014, soixante-sept départements sont concernés, etc.
Nos voisins européens n’ont pas non plus été épargnés : d’abord l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique, enfin, les Pays-Bas. De Lisbonne à Amsterdam, le frelon asiatique coule aujourd’hui des jours paisibles en Europe, malheureux exemple topique d’une espèce exotique invasive, introduite par erreur, mais qui s’est très rapidement adaptée.
Cette invasion est l’un des symptômes de la mondialisation, mais il ne s’agit pas de traiter cette problématique de manière dogmatique. Au contraire, notre réponse doit permettre de mieux appréhender les espèces invasives actuelles et futures : le ver plat d’Amazonie, fléau pour nos vers de terre, la moule quagga, qui pullule dans nos lacs alpins, ou encore la jussie que l’on retrouve dans nos cours d’eau.
Depuis plus de vingt ans, les frelons asiatiques bouleversent les écosystèmes, déciment les ruches et tuent les pollinisateurs. Pourtant, jusqu’ici, nous avons détourné les yeux. Dès à présent, regardons ensemble le problème en face.
La réflexion que nous devons mener concerne le rôle de la puissance publique et, précisément, celui de l’État. « La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. » Tels sont les termes par lesquels le préambule de la Constitution de 1946 consacre la réalité du principe de solidarité face aux fléaux.
Comment qualifier le frelon asiatique sinon comme une calamité ? La Nation proclame la solidarité ; il revient à l’État de l’organiser. Son intervention pour assurer la mutualisation des risques qui pèsent sur toute la société répond bien à une nécessité républicaine. Notre réponse doit ainsi être celle d’une République solidaire, une réponse populaire et non populiste, car le frelon constitue bien une menace.
Il est une menace, d’abord, pour la santé de nos concitoyens : si son venin n’est pas particulièrement plus dangereux que celui d’autres insectes présents sur le territoire, son agressivité, lorsqu’il est dérangé, est bien plus grande. Il se défend par l’attaque, souvent en groupe, et les piqûres répétées peuvent être mortelles.
Il représente une menace, ensuite, pour les abeilles : notre pays est riche de ses apiculteurs, dont je salue les fiers représentants présents aujourd’hui dans nos tribunes. Ils sont plus de 71 000 à produire notre miel, professionnels, pluriactifs ou amateurs ; ils constituent le maillage de la pollinisation, avec les 1,3 million de ruches que compte le cheptel français. En plus de produire 14 000 tonnes de miel par an, ils travaillent en collaboration directe ou indirecte avec les agriculteurs, les arboriculteurs ou les floriculteurs pour polliniser les cultures.
Comment répondre aujourd’hui au problème ? Cette proposition de loi à objectif clair : organiser et préserver.
D’une part, il s’agit d’organiser la lutte et la prévention contre cette espèce. C’est un fait : il faut vivre avec le frelon asiatique, car, eu égard à l’ampleur de l’invasion, son éradication est désormais impossible.
Si l’État n’a pas encore pris l’initiative d’une politique publique d’ensemble, les collectivités territoriales sont, comme souvent, en première ligne et tentent d’apporter des réponses concrètes à cette problématique. De nombreux maires agissent sur le territoire de leur commune pour accompagner, voire financer, la destruction des nids présents dans les jardins, les garages et les maisons à proximité de lieux publics.
Les départements tentent également de mettre sur pied des politiques de lutte pour freiner les conséquences délétères de la présence de cette espèce, quand bien même les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) ont cessé d’intervenir sur les nids.
Toutefois, comme l’a indiqué en commission notre rapporteur, M. Jean-Yves Roux, les actions isolées se sont traduites par un échec patent. Le frelon asiatique ne se soucie pas des frontières administratives et dispose d’une forte capacité de dispersion. Malheureusement, les actions coups de poing ne sont rien d’autre que des coups d’épée dans l’eau.
C’est pourquoi, mes chers collègues, il vous est proposé d’établir une stratégie nationale, déclinée à l’échelle départementale, pour remédier aux lacunes et aux incohérences de ces efforts. La mise en commun et la coordination des actions relèvent d’un impératif d’égalité entre les citoyens et les territoires.
Les élus locaux, s’ils demeurent les chevilles ouvrières de ces politiques publiques, doivent recevoir le soutien organisationnel et financier des représentants de l’État. Il est indispensable que l’ensemble des acteurs jouent un rôle : collectivités, apiculteurs, organismes à vocation sanitaire et État.
D’autre part, ce texte vise, bien sûr, à préserver l’apiculture française. Actuellement, 12 millions d’euros sont perdus chaque année par la filière à cause du frelon, alors même que nos apiculteurs sont déjà en proie à la concurrence déloyale de miels importés et de produits souvent frauduleux. Ils attendent depuis longtemps un soutien franc face à la destruction de leurs ruches. Le repeuplement des cheptels de pollinisateurs est un impératif économique et environnemental.
On prête à Albert Einstein une citation que je partage : « Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. » Nous sommes donc face à la nécessité impérieuse d’aider largement les apiculteurs.
À peine quelques semaines après avoir été élu sénateur, j’ai déposé un amendement visant à créer un fonds d’urgence pour la filière apicole lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024. Les moyens alloués ne doivent pas représenter une goutte d’eau dans un océan de difficultés susceptibles de décourager les apiculteurs de poursuivre leur activité. J’ai également à l’esprit les exploitants pluriactifs, les agriculteurs, pour qui la vente de produits du miel constitue une source de revenus complémentaires non négligeable.
Mes chers collègues, tel est l’objet de cette proposition de loi.
Je me réjouis de la dynamique de coconstruction dans laquelle se sont engagés les sénateurs de tout bord. Ce texte prend la suite de plusieurs propositions de loi déposées depuis 2011, notamment par Mme Bonnefoy et Mme Pluchet, que je remercie de contribuer au débat par leurs amendements. En outre, deux propositions de loi ont été déposées le mois dernier à l’Assemblée nationale.
En inscrivant ce texte à l’occasion de sa journée d’initiative parlementaire, le groupe RDSE met à l’agenda un sujet majeur. Le débat a lieu, ce qui est pour le mieux.
Une nouvelle fois, le Sénat trace le chemin d’une politique publique concrète dont le Gouvernement doit se saisir pour répondre à la détresse de nos concitoyens. Je lui fais confiance.
Je forme ici le vœu que cette proposition de loi prospère sans se perdre dans les méandres de la procédure législative. Monsieur le secrétaire d’État, les membres du RDSE et moi-même vous offrons l’occasion de porter un message d’espoir pour l’apiculture française.
Vingt ans après, il est temps de croiser le fer avec le frelon asiatique. Ne décevons pas les espérances nées de cette initiative, soyons au rendez-vous de ces questions écologiques majeures, de la défense des savoir-faire, de l’enjeu sanitaire, ainsi que de notre souveraineté apicole, agricole et alimentaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et SER.)