By admin on mercredi 20 février 2019
Category: TRAVAIL PARLEMENTAIRE

Proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires bis

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.


M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi et que vient de nous présenter Jean-Yves Roux vise à faciliter le désenclavement des territoires.
Sur cette question, l'actualité parle d'elle-même. Nombre de ceux qui, depuis trois mois, manifestent dans la rue et sur les ronds-points, expriment un sentiment d'abandon face aux difficultés économiques et sociales qu'ils rencontrent, face à la disparition des services publics, mais aussi, et c'est un sujet dont il avait été peu question dans le débat public jusqu'alors, face à l'absence de solutions de mobilité.
Comment ne pas rappeler que la colère qui s'exprime aujourd'hui s'est cristallisée, au départ, sur l'augmentation de la fiscalité sur les carburants, pénalisant ceux qui utilisent en premier lieu leur véhicule pour se déplacer, c'est-à-dire, majoritairement, ceux qui n'ont pas accès à une offre de transports publics pour leurs trajets du quotidien.
Le manque de solutions de transport, c'est ce que vivent tous les jours ceux qui habitent dans des territoires enclavés. Il résulte d'une offre de mobilité insuffisante, notamment en matière de transports collectifs, mais aussi d'un manque d'infrastructures de transport adaptées, soit parce que ces infrastructures sont trop lointaines, soit parce qu'elles ne sont pas aménagées pour permettre une circulation rapide.
Pour répondre à cette difficulté, la proposition de loi prévoit trois axes d'action principaux.
Le premier volet porte sur les infrastructures de transport.
La proposition de loi vise à faire du désenclavement des territoires l'un des piliers de la programmation de ces infrastructures, c'est-à-dire un véritable critère d'analyse. Dans cette perspective, elle prévoit que, d'ici à la fin de l'année 2025, aucune partie du territoire français métropolitain ne devra être située à une distance trop importante d'un centre urbain ou économique ou d'une voie de circulation rapide. En commission, nous avons ajouté un critère de distance à une gare desservie par une ligne à grande vitesse.
Il est en effet indispensable que l'objectif de désenclavement du territoire soit intégré dans la politique d'aménagement du territoire, c'est-à-dire dans les documents de planification de l'État et des collectivités, en particulier dans les contrats de plan État-région, comme étant un objectif prioritaire, comme l'a souligné en commission notre collègue Michel Vaspart.
Il n'est nul besoin de rappeler que, par le passé, les choix en matière d'investissements ont porté prioritairement sur la réalisation de grandes infrastructures de transport, certes nécessaires, mais onéreuses, au détriment de l'entretien et de l'aménagement des réseaux existants, qu'il s'agisse du réseau routier ou du réseau ferroviaire.
Vous nous direz sûrement, madame la ministre, que le gouvernement auquel vous appartenez a décidé d'infléchir cette tendance – vous l'avez d'ailleurs rappelé hier lors des questions d'actualité au Gouvernement, en répondant à M. Éric Gold – et que le projet de loi d'orientation des mobilités que nous examinerons le mois prochain au Sénat apportera des réponses à la problématique du sous-investissement dans les infrastructures de transports du quotidien.
Certes, nous ne pouvons pas nier qu'un changement d'approche, en matière de financement des infrastructures, est intervenu. Pour autant, il nous paraît nécessaire d'inscrire des objectifs de désenclavement dans le marbre de la loi, d'en faire un critère de sélection, sinon ils passeront toujours au second plan dans les politiques d'investissements et risqueront même de servir de variable d'ajustement, dans un contexte où plane une grande incertitude sur le financement pérenne des infrastructures.
La proposition de loi prévoit, par ailleurs, que l'État devra veiller à adapter les infrastructures et leurs aménagements aux territoires et à leurs caractéristiques. Il s'agit, en cela, de faciliter la construction d'infrastructures routières moins lourdes, et donc moins coûteuses, dans les zones enclavées.
Il n'est bien évidemment pas question de construire des autoroutes ou des routes à deux fois deux voies sur tout le territoire. Le désenclavement peut passer par l'aménagement d'une route existante afin de permettre une circulation plus rapide et de répondre à la demande des habitants du territoire concerné.
Le deuxième volet de la proposition de loi concerne le désenclavement des territoires par la voie aérienne.
Aujourd'hui, dans de nombreux territoires, en l'absence de TGV ou d'autoroute, seule une liaison aérienne permet une connexion rapide avec les grands centres urbains, Paris et les grandes métropoles. Lorsque l'équilibre économique d'une desserte n'est pas assuré, la puissance publique peut organiser des liaisons aériennes soumises à des obligations de service public et verser, avec les collectivités et les chambres consulaires, des subventions d'équilibre aux compagnies exploitant ces lignes. De telles liaisons sont essentielles au désenclavement des territoires et sont souvent indispensables au maintien et au développement des activités économiques. Or, depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », qui a revu la répartition des compétences entre les collectivités territoriales, seuls l'État et les régions sont compétents pour organiser ces liaisons. Les autres collectivités territoriales, notamment les départements, ne peuvent le faire que par délégation des régions, s'agissant des liaisons intrarégionales, ou de l'État, s'agissant des liaisons interrégionales.
Pourtant, l'État s'est désengagé ces dernières années du financement de nombreuses liaisons d'aménagement du territoire. Certes, le Gouvernement a mis fin à cette tendance au travers du budget pour 2019, en consacrant 4 millions d'euros supplémentaires au financement de ces lignes, mais cela ne permettra de financer, au mieux, qu'une ou deux dessertes de plus.
Quant aux régions, elles ne sont pas le seul échelon pertinent pour appréhender la problématique du désenclavement et y répondre. C'est pourquoi j'aurais souhaité déposer un amendement visant à donner aux départements et aux EPCI la compétence pour organiser eux-mêmes des liaisons d'aménagement du territoire, sans avoir à en demander l'autorisation ou la délégation à la région ou à l'État, mais un tel amendement aurait été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.
Je profite de votre présence aujourd'hui, madame la ministre, pour vous dire qu'il s'agit là d'un véritable sujet d'inquiétude pour les territoires enclavés, qui mérite d'être mieux pris en compte, d'autant que la réglementation européenne vous autorise à porter à 100 % les subventions d'équilibre pour ces liaisons. Pour l'instant, ce taux est de 50 %, mais je suis persuadé qu'une petite augmentation inciterait les départements et les EPCI à participer au financement de ces liaisons.
La proposition de loi prévoit que l'État devra s'assurer que les compagnies aériennes qui exploitent ces liaisons aériennes maintiennent des dessertes effectives et régulières. Ceux d'entre nous qui empruntent régulièrement ces liaisons ont pu constater, ces dernières années, une dégradation du service rendu par la filiale d'une grande compagnie aérienne française, avec des retards de vols fréquents et très importants ou des annulations.
Cette situation suscite des interrogations quant à la manière dont l'État contrôle l'exercice de ces délégations de service public. La proposition de loi vise d'ailleurs à renforcer ce contrôle, en prévoyant que les compagnies aériennes devront transmettre aux autorités publiques des informations sur le fonctionnement des lignes de manière plus fréquente et plus transparente.
Enfin, le troisième et dernier volet de la proposition de loi concerne la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure.
Certes, madame la ministre, cette question ne relève pas, en tant que telle, de la problématique du désenclavement des territoires. Cependant, il est légitime qu'elle soit abordée dans ce texte, car elle a contribué au sentiment d'abandon des citoyens vivant dans les territoires ruraux que j'évoquais en introduction.
La réduction de la vitesse à 80 kilomètres par heure a été décidée sans concertation et sans prendre en considération la réalité de nombreux territoires où la voiture est un moyen de déplacement incontournable. Cette décision a été le second facteur déclenchant du mécontentement national.
Pourtant, le Gouvernement aurait pu procéder différemment. Avant l'entrée en vigueur de la mesure, de nombreux départements ont demandé que cette décision soit décentralisée, afin qu'elle puisse être adaptée aux spécificités de chaque territoire. Le groupe de travail sur ce sujet créé au Sénat, composé de Michèle Vullien, Michel Raison et Jean-Luc Fichet, avait lui aussi recommandé une telle décentralisation de la décision. On sait ce qu'il est advenu de cette proposition...
Lors de l'ouverture du grand débat national, le 15 janvier, le Président de la République lui-même a indiqué être ouvert à des aménagements. Tel est le sens de l'amendement que nous avons adopté en commission à l'article 5. Il vise à donner aux présidents de département et aux préfets la possibilité de relever ou de moduler les limitations de vitesse sur les voies dont ils sont gestionnaires, après avis de la commission départementale de la sécurité routière. J'espère, madame la ministre, que vous soutiendrez notre proposition, même si ce sujet ne relève pas de votre ministère.
Vous l'aurez compris, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons cet après-midi répond à un impératif économique et social pour de nombreux territoires. Il constitue aussi une réponse, parmi d'autres, aux demandes fortes de nombreux élus locaux et de leur population. J'espère que vous serez nombreux, mes chers collègues, à le soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)