Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a à peine plus d'un an, notre assemblée adoptait à l'unanimité une proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, et non plus sur l'ensemble de leur carrière. Comme l'a rappelé mon collègue Henri Cabanel à l'époque, il s'agissait de réparer une injustice dénoncée par la profession depuis des décennies. En effet, bien qu'un rapport de l'Igas ait étudié les conditions de passage à un calcul sur les vingt-cinq meilleures années dès 2012, le sujet a été maintes fois repoussé.
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Aujourd'hui, le régime des non-salariés agricoles est le seul à conserver cette physionomie spécifique. Rien ne justifie une telle discrimination, qui lèse gravement les retraités de la profession agricole.
En 2022, la pension moyenne d'un agriculteur non salarié était ainsi de 864 euros brut mensuels, contre un peu plus de 1 500 euros pour l'ensemble des retraités. Si bon nombre d'agriculteurs peinent à joindre les deux bouts durant leur vie active, la situation est pire une fois qu'ils sont à la retraite. Dans leur rapport sur les suicides en agriculture, Henri Cabanel et Françoise Férat avaient souligné combien « l'absence de retraite suffisante alimente un désarroi profond. »
De fait, le niveau de pension moyen des retraités agricoles reste extrêmement faible, malgré des ajustements au fil des années. Encore récemment, les lois Chassaigne ont permis de revaloriser certaines retraites, mais l'introduction d'un dispositif d'écrêtement a affaibli ces avancées, en pénalisant les polypensionnés, c'est-à-dire ceux qui sont contraints de cumuler plusieurs activités pour s'assurer un revenu décent.
Aussi, la proposition de loi Dive a envoyé un message fort à nos agriculteurs, qui attendaient avec impatience cette réforme, prévue pour 2026. Cependant, si le texte fixait un objectif de refonte du mode de calcul des pensions des non-salariés agricoles, il renvoyait le soin de dessiner différents scénarios d'application à un rapport, que le Gouvernement devait remettre dans les trois mois suivant la promulgation de la loi.
Lors de son examen, notre rapporteur, Pascal Gruny, avait regretté que le texte confie « au pouvoir réglementaire une prérogative trop importante dans la définition des futurs paramètres du régime ». Ses craintes étaient malheureusement justifiées. Remis avec huit mois de retard, le rapport s'est concentré sur trois scénarios, lesquels feraient beaucoup trop de perdants à l'horizon de 2040, notamment parmi les plus modestes.
Aussi saluons-nous l'inscription de la présente proposition de loi à l'ordre du jour de notre assemblée. Je rappelle que les membres du groupe du RDSE sont depuis longtemps particulièrement attentifs au problème des retraites agricoles : en 1998, deux d'entre eux avaient déposé une proposition de loi visant à ce que tous les agriculteurs retraités bénéficient de revenus décents. En pleine crise du monde agricole, la mise en œuvre du calcul des pensions de retraite sur la base des vingt-cinq meilleures années est, plus que jamais, un enjeu prioritaire.
Lors de leur audition devant notre commission, les représentants de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) l'ont bien confirmé : ce texte est la solution la plus acceptable pour améliorer les petites pensions, tout en respectant l'échéance du 1er janvier 2026 fixée par la loi Dive. Il permettra de réévaluer le montant des pensions, jusqu'à 190 euros dans certains cas.
Mais j'y insiste, cette proposition de loi n'est qu'une première étape. Il reste en effet beaucoup à faire pour conjurer le malaise du monde paysan. Le non-respect de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), l'édiction de normes de plus en plus lourdes à supporter, le versement tardif des aides européennes, la hausse du prix du carburant agricole, la course à l'endettement pour s'en sortir, tout cela participe à la paupérisation de nos agriculteurs.
Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour mettre en œuvre le « réarmement agricole », pour reprendre la formule du Premier ministre, car nos agriculteurs n'y arrivent plus, et c'est trop souvent que nos campagnes pleurent le suicide de l'un d'entre eux. Cette situation n'est pas tolérable.
C'est dans cet esprit que le groupe du RDSE apportera tout naturellement son soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)