M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale propose de répondre à la dégradation des conditions de travail des marins embarqués sur les ferries des liaisons maritimes transmanche et, dans un même élan, de limiter la concurrence déloyale exercée par les armateurs étrangers.
Il oppose aux compagnies qui ne respecteraient pas les dispositions votées un double régime de sanctions, à la fois pénales et administratives, s'appuyant sur un volet méconnu du droit européen : la loi de police.
Les gens de mer connaissent des conditions de travail et de rémunération très différentes selon le droit en vigueur du pavillon dont relève le navire sur lequel ils naviguent ou encore suivant le pays choisi en référence dans le contrat de travail signé avec la compagnie qui les emploie. Le droit du travail en la matière se limite à une simple recommandation de l'Organisation internationale du travail (OIT) de fixer à 658 dollars américains le salaire minimum mensuel pour les marins.
Ainsi, la flotte sous pavillon français est confrontée à la concurrence déloyale des compagnies maritimes sous pavillon de complaisance.
En 2021, l'arrivée de la compagnie Irish Ferries sur le marché a provoqué un séisme. Battant pavillon chypriote, elle a embauché des personnels à moindre coût. Ses concurrents se sont alignés et, en 2022, la société P&O Ferries, passée elle aussi sous pavillon chypriote, a licencié 786 salariés pour recruter des marins essentiellement philippins, à des conditions sociales tirées vers le bas, entraînant tout le secteur : salaires inférieurs de 60 % aux salaires français, coûts de production inférieurs de 35 % à ceux des bateaux français, durée d'embarquement très supérieure à la durée du repos.
Pour les navires sous pavillon d'un État membre de l'Union européenne, le droit européen donne aux États membres la possibilité de voter des lois de police valables quelles que soient les lois nationales applicables au contrat de travail individuel. L'État côtier peut alors refuser au bateau ne respectant pas cette loi de police l'accès à ses eaux.
Cette dérogation aux règles de la libre prestation de service est ainsi énoncée : « Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat ».
Aussi, la proposition de loi prévoit le versement d'un salaire minimum horaire de branche, applicable en France, ainsi qu'une parité entre temps de repos à terre et durée d'embarquement.
Saisie sur le fond, la commission des affaires sociales a limité les risques qu'une juridiction considère les sanctions prévues comme non conformes au droit de l'Union européenne. Quant à la commission des affaires économiques, son avis est favorable, malgré quelques réserves mineures.
Un décret en Conseil d'État devra préciser quelles lignes internationales seront concernées par la loi. Il devra, en tout état de cause, entrer en vigueur avant janvier 2024, date à laquelle une loi britannique similaire entrera en application.
La peine d'interdiction d'accoster dans un port français pour tous les navires de la flotte d'une compagnie, en cas de troisième infraction constatée, a été supprimée en commission. Il est vrai qu'elle était manifestement disproportionnée. On connaît les pratiques des armateurs en matière de volatilité des pavillons de leurs navires...
Je m'interroge aussi sur le caractère suffisamment dissuasif du montant des amendes prévues.
Enfin, le groupe du RDSE propose de réintroduire les articles 1er bis et 1er ter sur le dispositif de l'État d'accueil ; nous espérons que nous serons suivis. Le doublement des sanctions pénales et la création de sanctions administratives permettront de réprimer les manquements en matière de droit du travail maritime, de droit social, mais aussi des actions mettant en péril la sécurité maritime.
Si le texte ne visait initialement que le transmanche, les travaux de l'Assemblée nationale avaient permis d'étendre son champ d'application, afin de renforcer nos moyens de lutte et d'action contre tous ceux qui viennent fausser le jeu de la concurrence sur le dos des marins. Ce texte doit nous permettre de refuser des pratiques déloyales partout dans les eaux françaises et de préserver le pavillon français, très respectueux des droits sociaux.
C'est dans cet esprit que le groupe du RDSE votera ce texte, protecteur du bien-être des gens de mer. (M. Jean-Claude Requier et Mme Colette Mélot applaudissent.)