M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, qui fait son retour parmi nous.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, depuis son adoption en 1989, la convention internationale des droits de l'enfant n'a cessé de produire des effets dans notre droit interne ; cette proposition de loi en est une nouvelle manifestation.
On observe par exemple un remarquable développement de la notion d'« intérêt supérieur de l'enfant », dont l'incidence juridique est toujours plus importante, dans le contentieux des étrangers en particulier.
S'agissant du sujet qui nous concerne aujourd'hui, l'article 19 de la convention est explicite : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle ».
Il est pourtant également incontestable que, en dépit de cet engagement international clair, trente ans après son adoption, l'application de cet article est loin d'être satisfaisante en France.
En effet, madame de la Gontrie, on peut considérer, comme vous le faites vous-mêmes avec rigueur dans votre rapport, que cette résistance relève d'un « habitus » bourdieusien qui agit à la fois dans les familles et dans les juridictions.
Comment expliquer autrement la survivance de la jurisprudence de la Cour de cassation relative au droit de correction, ou le fait que le nombre d'enfants subissant des violences éducatives ordinaires se maintienne au niveau que vous constatez ? Selon les informations que vous donnez, ces violences n'épargnent pas les plus petits, puisque 50 % des moins de deux ans y seraient soumis ! Paradoxalement, c'est la même société qui, d'une part, condamne les infanticides ou les viols sur mineurs au point de demander parfois le retour de la peine de mort, et, d'autre part, tolère que des parents exercent des violences destructrices et quotidiennes sur leurs enfants.
Cette tolérance est pourtant dépourvue de base juridique : le code pénal n'établit pas de distinction entre « violence ordinaire » et « violence extraordinaire ». Si la notion de violence éducative ordinaire a pour mérite de lever l'euphémisme d'autres désignations, comme celle de « correction », accoler au terme de « violence » les mots « éducative » et « ordinaire » prolonge donc l'ambiguïté. Il s'agit ni plus ni moins que de parvenir à ce que toutes les violences exercées par un individu sur un autre, quand bien même elles le seraient par un parent sur son enfant, soient sanctionnées.
La formulation proposée par la rapporteure et adoptée par l'Assemblée nationale permettra de lutter contre cette tolérance coutumière, en abolissant la limite factice entre violence parentale et violence interpersonnelle.
Bien sûr, tous les parents siégeant dans cet hémicycle reconnaissent que la frontière entre faire acte d'autorité et faire acte de violence, surtout psychologique, est parfois difficile à distinguer, surtout pour des parents désormais soumis à de multiples pressions professionnelles et familiales.
Mais gardons-nous de tomber dans une analyse trop simpliste du phénomène des enfants rois. Comme l'écrivent les spécialistes, « la notion de l'enfant roi ne désigne pas seulement une figure d'enfant, mais une forme de relation entre enfants et adultes. » C'est bien ce lien qu'il s'agit aujourd'hui de réinventer, et le rôle de l'État est d'accompagner les parents dans cette tâche – il faudra se demander quels moyens développer à cette fin.
L'autre intérêt de cette initiative et du rapport de notre collègue est de mettre en lumière l'incidence de la prohibition de telles violences sur le niveau de délinquance juvénile, alors qu'une réforme de l'ordonnance de 1945 est en cours de préparation. Il y a là l'idée que la crise d'autorité pourrait découler du décalage existant entre les affirmations de façade, celles d'une protection absolue de l'enfance, et la réalité, qui place encore les enfants en situation de vulnérabilité vis-à-vis de parents violents. Toute la société pourrait en réalité bénéficier de la protection de l'estime de soi de ces futurs adultes, qui conditionne la réussite scolaire et professionnelle.
Les membres du groupe du RDSE voteront donc en faveur de cette proposition de loi, qui a le mérite d'apporter une réponse adaptée à la problématique des violences éducatives ordinaires en faisant en sorte que leur abolition fasse partie du contrat familial. Nous pensons qu'en la matière la voie civile sera plus judicieuse que la voie pénale, afin que toutes les familles deviennent le lieu premier de construction d'une société pacifiée. On ne lutte efficacement contre des habitus qu'en préparant des évolutions de fond, pas des mouvements de surface.
Je conclurai en disant qu'il reviendra aux magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation de se saisir de cette évolution et de renoncer à la jurisprudence du droit de correction, sans quoi l'abolition que nous avons en vue restera inachevée. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et sur des travées du groupe Union Centriste.)