M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque nous examinons les textes à l'ordre du jour de notre chambre haute, nous pouvons difficilement les sortir des contextes économiques et sociaux que nous traversons.
En effet, cela a été maintes fois évoqué, depuis la fin de l'année 2021 et encore plus depuis le début de la guerre en Ukraine, les particuliers subissent de plein fouet l'envol de l'indice des prix à la consommation, en particulier sur les dépenses énergétiques.
Malgré un bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité, la remise à la pompe pour le carburant et le chèque inflation, les difficultés en termes de pouvoir d'achat perdurent, impactant de fait la répartition et le niveau des dépenses de consommation des ménages français. Cette progression de la précarité financière s'observe au quotidien, notamment à travers l'intensité des actions sur le terrain des associations de solidarité.
Ces données centrales nous ont laissé penser, dans un premier temps, que cette « proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite » était quelque peu anachronique, en miroir avec l'urgence sociale. Nous n'étions pas pleinement en phase avec l'identification de la cause, pour traiter le problème à sa source.
Pour autant, les quelques rares affaires de squats qui ont été médiatisées ne nous laissent pas indifférents. Nous sommes parfaitement conscients du trouble que cela représente pour le propriétaire, car la détention d'un bien suscite la plupart du temps un sentiment de fierté et d'accomplissement. Ainsi, l'émoi d'un propriétaire face à une occupation illicite est compréhensible, surtout lorsqu'il est alimenté par une impression d'impuissance.
Par conséquent, pour éviter de glisser dangereusement vers des situations où les propriétaires se feraient justice eux-mêmes, avec les pires scenarii que l'on puisse imaginer, légiférer semble une voie rationnelle, de surcroît lorsqu'il existe une volonté politique partagée de légiférer en vue d'améliorer le cadre juridique dans ce domaine. En effet, on dénombre pas moins de vingt propositions de loi sur ce sujet déposées à l'Assemblée nationale et au Sénat depuis 2020.
Vous l'aurez compris, nous ne minorons pas ces sujets de contentieux locatifs, mais nous restons vigilants pour que cela ne donne pas lieu à des reculs significatifs en matière de droit au logement. Notre groupe a donc rédigé des amendements visant à infléchir un texte qui déséquilibre peu ou prou les rapports entre propriétaires et locataires.
Nous souhaitons notamment que l'information selon laquelle les locataires ont seuls la faculté de demander au juge de leur accorder des délais de paiement soit bien connue des locataires concernés. Par ailleurs, nous nous opposons à la réduction des délais entre le commandement de payer et la résiliation automatique de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement. Les tensions sur le marché locatif et les difficultés à trouver une solution de relogement pour les locataires rencontrant des difficultés financières sont trop fortes pour mettre à mal l'accompagnement social pratiqué dans l'intervalle.
Nous faisons aussi le pari d'un dialogue et d'une négociation amiable entre le locataire et le bailleur, sous la surveillance d'un commissaire de justice.
Ces contributions aux articles 4 et 5 du présent texte sont de nature à compenser les asymétries d'information auxquelles les locataires sont susceptibles de faire face en cas de contentieux.
Nous partageons, en revanche, l'inquiétude des associations de solidarité – Croix-Rouge française, Secours catholique, Fondation Abbé Pierre – sur la question de la pénalisation des locataires qui se maintiennent dans leur logement après une décision définitive de justice. Le propriétaire bailleur ne doit pas se substituer à l'État ; rappelons que l'accès au logement est garanti par l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.
Enfin, toujours dans un souci de compenser la rigidité de cette proposition de loi, il serait opportun de renforcer le budget consacré à l'hébergement d'urgence ainsi qu'aux moyens des équipes mobiles et des accueils de jour.
En conclusion, le groupe RDSE est pleinement mobilisé pour avancer sur ces sujets et regrette l'aspect équivoque d'une proposition de loi qui fait l'amalgame entre l'occupation illicite et les impayés de loyer. Par respect pour notre tradition et la diversité de nos opinions, nous appliquerons notre principe de liberté de vote sur ce texte, en nous partageant entre l'approbation et l'abstention.