M. Stéphane Artano. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les rédacteurs du code civil avaient écrit, dans le préambule de ce texte : « La femme est donnée à l'homme pour qu'elle fasse des enfants. Elle est donc sa propriété comme l'arbre à fruits est celle du jardinier ». (Sourires.) Depuis lors, le code civil et la société ont, fort heureusement, bien changé…
Le droit à l'avortement, conquis de haute lutte, a marqué une étape décisive dans la reconnaissance du droit des femmes à disposer librement de leur corps et, au cours des vingt dernières années, il a été considérablement amélioré.
Pour autant, quarante-cinq ans après la loi Veil, force est de constater que, paradoxalement, ce droit est loin d'être un acquis et qu'il est essentiel de le défendre avec vigilance.
De nombreux obstacles contribuent, encore aujourd'hui, à fragiliser son exercice : refus des prises en charge tardives, désinformation, pression psychologique, discours culpabilisant et surtout difficulté à trouver un praticien proche de son domicile pour pratiquer une IVG dans des délais rapides.
Déjà, en 2015, dans un rapport d'information de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon et Françoise Laborde indiquaient que, en dix ans, plus de 130 établissements de santé pratiquant des IVG avaient fermé, alors que la demande restait stable. Il en résulte une forte concentration sur un nombre limité d'établissements, ce qui contribue à accroître les délais d'attente.
Mes chers collègues, l'examen de cette proposition de loi a fait naître au sein de mon groupe des positions variées : certains y sont favorables, tandis que d'autres craignent qu'il ne soit, dans les faits, une mauvaise réponse à un vrai problème.
À la suite de l'adoption de la présente proposition de loi par l'Assemblée nationale, tant l'Académie nationale de médecine que l'ordre des médecins et le Collègue national des gynécologues et obstétriciens français ont publié des communiqués de presse pour rappeler leur opposition à l'allongement du délai légal.
Ils estiment en effet que cette mesure ne permettra pas de répondre aux difficultés et que les femmes espèrent au contraire une prise en charge plus rapide. Surtout, ils évoquent les complications médicales qui peuvent survenir à la suite d'une interruption volontaire de grossesse au-delà de 14 semaines d'aménorrhée. Enfin, ils redoutent que l'allongement du délai légal entraîne une désaffection des professionnels de santé qui les réalisent aujourd'hui.
Aussi, au-delà de toute considération éthique, nous pouvons légitimement nous interroger : l'allongement du délai légal permettra-t-il réellement aux femmes d'accéder plus facilement à l'IVG ? Doit-il remédier aux défaillances de notre politique publique de santé reproductive ?
Lors de la présentation de son rapport, notre collègue Laurence Rossignol a appelé de ses vœux la mise en place d'un véritable pilotage national de l'activité d'IVG et la création d'un Institut national de la santé sexuelle et reproductive, auxquelles je souscris pleinement. Piloter l'offre nationale de soins en orthogénie et de planification familiale, évaluer la qualité de cette offre dans les établissements de santé ou de planification, assurer un maillage équilibré du territoire ; tout cela nous semble essentiel.
Nous devons également améliorer l'information, réfléchir à la gratuité de toutes les contraceptions, pour toutes les femmes, et promouvoir l'éducation à la sexualité dès le plus jeune âge.
Mes chers collègues, comme à son habitude, mais plus particulièrement aujourd'hui, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen regrette le dépôt d'une motion tendant à opposer la question préalable.
Par le passé, nous avons pu déplorer que l'allongement du délai légal ou la suppression de la clause spécifique soient abordés au détour d'amendements – certains diraient « en catimini » –, lors de l'examen de textes qui n'étaient pas le bon véhicule législatif. Aujourd'hui, le groupe socialiste a décidé d'inscrire cette proposition de loi au sein de son espace réservé, afin que nous prenions le temps de débattre.
Par ailleurs, au moment de son examen à l'Assemblée nationale, vous avez annoncé, monsieur le secrétaire d'État, avoir saisi le Comité consultatif national d'éthique pour que celui-ci puisse rendre un avis sur cette délicate question. C'est chose faite ; chacun de nous a pu prendre connaissance de cet avis, de même que de la position de l'ordre national des médecins, du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, du Conseil national de l'ordre des sages-femmes ou encore du planning familial, pour ne citer qu'eux.
Tous les éléments sont donc réunis pour que nous puissions avoir un débat éclairé, une réflexion sereine et approfondie dans le respect des convictions de chacun.
Parce qu'un sujet aussi important et sensible ne mérite pas d'être balayé d'un revers de main par l'adoption d'une motion tendant à opposer la question préalable, l'ensemble des sénateurs du groupe du RDSE votera unanimement contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)