Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de loi dressent un constat qui est partagé sur toutes les travées de l’hémicycle.
Nous observons en effet depuis plusieurs années un recul de l’accès aux soins et un déclin de la permanence des soins. Ce sont des sujets de préoccupation, voire d’inquiétude grandissante pour les élus, les patients et les professionnels de santé.
Les chiffres le confirment. En vingt ans, nous avons perdu 18 % de généralistes et 9 % de spécialistes. Un bon nombre de médecins partiront à la retraite, alors que les besoins liés au vieillissement de la population et à la prévalence des maladies chroniques augmentent et que les jeunes médecins, comme d’ailleurs le reste de la population, sont désireux – c’est légitime – de mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle. Nous sommes donc face à un problème de pénurie bien plus que de répartition.
Cette pénurie a été instaurée dès le début des années 1980 à des fins avouées de régulation des dépenses de santé. Il fallait boucher le trou de la sécurité sociale, comme en témoigne le slogan des années 1990 : « La sécurité sociale, c’est bien ; en abuser, ça craint ! » Tous les gouvernements, de droite et de gauche, ont poursuivi cette approche mortifère pendant plus de deux décennies. Voilà la principale raison de la situation que patients et professionnels subissent au quotidien.
L’augmentation du numerus clausus, puis sa transformation en numerus apertus, décidées tardivement, ne porteront leurs fruits que dans une bonne dizaine d’années. À ce propos, madame la ministre, pourriez-vous nous donner des chiffres précis sur le nombre d’étudiants en médecine, notamment en médecine générale, ayant entamé leurs études ces dernières années ? Combien de médecins supplémentaires pouvons-nous espérer pour 2030 ? Seront-ils en nombre suffisant pour faire face aux enjeux qui nous attendent demain ?
Face à la pénurie, la proposition de loi que nous examinons propose une fois encore de renforcer les contraintes et les obligations : à l’article 1er, stage obligatoire dans les déserts médicaux ; à l’article 2, obligation de création d’équipes de soins primaires ; à l’article 3, obligation de garde ; à l’article 4, régulation à l’installation.
Or nous devons tous prendre conscience qu’aujourd’hui, la médecine générale n’est plus attractive. Cela n’est pas assez dit, me semble-t-il. J’en veux pour preuve qu’elle est l’avant-dernière spécialité choisie aux épreuves classantes nationales (ECN). Les raisons en sont multiples, entre les contraintes administratives et la charge de travail grandissante. En outre, les perspectives de carrière sont limitées : fini l’accès aux métiers d’urgentiste et de gériatre ; finis les diplômes universitaires d’angiologie ou de médecine esthétique, qui permettaient de diversifier le métier. Enfin, le stage libre a été retiré des stages autonomes en soins primaires ambulatoires supervisés (Saspas) ; la quatrième année a encore failli être limitée à la pratique ambulatoire.
Les tentatives, nombreuses et répétées, de renforcer les obligations pour compenser plusieurs décennies de politiques publiques de santé défaillantes ne réconcilieront pas les jeunes avec l’exercice de la médecine générale. Les professionnels font face à des conditions de travail suffisamment dégradées ; je ne crois pas qu’il faille les aggraver encore en faisant peser davantage de contraintes sur ceux qui tiennent, tant bien que mal, notre système de santé à bout de bras. C’est avec eux, et non contre eux, que les solutions seront trouvées, notamment dans le cadre des négociations conventionnelles avec l’assurance maladie qui se tiennent en ce moment. Dans le cadre de ces dernières, il faut miser sur la responsabilité collective, notamment pour la permanence des soins ambulatoires (PDSA).
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous ne croyons pas que les mesures proposées dans ce texte puissent résoudre nos problèmes.
En période de crise et de pénurie, en attendant que le numerus apertus produise ses effets, nous devons au contraire serrer les rangs, instaurer la confiance, laisser le terrain s’organiser, comme il a su le faire pendant la crise du covid, décharger les professionnels des tâches administratives, valoriser et respecter leur travail, lever les freins et accélérer le déploiement d’outils déjà existants, qu’il s’agisse des MSP ou de toutes les autres formes d’exercice coordonné. Il faudra aussi assouplir les règles de cumul emploi-retraite, avoir recours aux assistants médicaux et aux IPA, ou encore déployer la télémédecine, voire encourager le partage de tâches, pour in fine donner envie aux jeunes de s’engager dans cette voie. Ce n’est, selon moi, qu’à ce prix que nous pourrons améliorer l’accès aux soins partout et pour tous.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme Corinne Imbert applaudit également.)
M. Bernard Fialaire. Bravo !