M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la résolution de notre collègue Garriaud-Maylam vise à reconnaître comme génocide l’Holodomor, véritable extermination par la famine conduite par Staline, qui fit plus de 4 millions de morts ukrainiens, soit 15 % de la population, entre l’été 1932 et l’été 1933. Nous en débattons alors même que la guerre fait rage en Ukraine.
On employa la terreur : collectivisation forcée, réquisition des récoltes, russification, enfants déplacés – déjà ! –, exécutions. Ces actes de barbarie frappèrent la population ukrainienne sans distinction, depuis les paysans jusqu’aux intellectuels.
Selon les historiens, le régime stalinien eut recours à ces méthodes dès 1929, afin d’accaparer les richesses agricoles des terres noires ukrainiennes, en grande partie pour financer l’industrialisation rapide du pays. En anéantissant toute velléité d’indépendance de l’Ukraine, grenier à blé de l’Union soviétique, il affermissait son contrôle sur cette république soviétique.
La famine fut la conséquence de l’extrême violence politique visant à briser les paysans résistant à la collectivisation, au travers de la confiscation des semences ou du blocus des villages affamés. La population en vint au cannibalisme, alors même que le régime continuait d’exporter des tonnes de céréales ukrainiennes.
Nul doute que ces crimes additionnés constituent un génocide au sens du droit international. Le président de l’Assemblée générale des Nations unies rappelait récemment qu’un génocide est un processus graduel, « les discours de haine, la déshumanisation des autres et les violations récurrentes de leurs droits sont des précurseurs d’atrocités de masse. […] Le germe du génocide prolifère lorsque l’État de droit s’effondre. »
Staline a organisé l’extermination de la population ukrainienne, entretenant méthodiquement la terreur, comme l’ont fait aussi d’autres États génocidaires, contre les Arméniens entre 1915 et 1923, contre les Juifs lors de la Shoah, contre les Tutsis au Rwanda en 1994, au Cambodge ou encore dans l’ex-Yougoslavie.
Quatre-vingt-dix ans après les faits, dix ans après le début du conflit dans le Donbass et l’annexion de la Crimée, cette page sombre de l’histoire ukrainienne résonne avec une actualité glaçante. Ce pays indépendant est devenu le terrain d’une guerre totale depuis son invasion par l’armée russe, le 24 février 2022.
Toute guerre se joue aussi sur le terrain de l’information, ou de la désinformation. En qualifiant les dirigeants ukrainiens de « nazis », le régime russe actuel cherche à réviser l’histoire.
Certes, ces enjeux mémoriels n’assureront pas la victoire de l’État ukrainien, mais les batailles se mènent aussi sur ce terrain symbolique.
Est-ce un hasard si le site internet de l’Assemblée nationale a été visé par une cyberattaque revendiquée par des hackers russes, le 27 mars dernier, veille des débats sur la reconnaissance de l’Holodomor comme génocide ? Et que dire de celle qui a été subie par le site internet du Sénat la semaine dernière ?
Voilà une motivation supplémentaire pour conduire les batailles sur le terrain mémoriel et exercer pleinement notre devoir de mémoire.
Nous pourrons ainsi contribuer, avec nos alliés, à ce qu’aucune forme de révisionnisme ne vienne effacer de l’histoire européenne ces crimes commis par le régime stalinien.
Un marqueur démocratique fort, pour tout État-nation, est de reconnaître les crimes du passé, afin qu’ils ne se répètent pas.
Comme le rappelait notre collègue André Guiol à cette tribune, le 4 mai dernier, à propos de la résolution sur la déportation par le pouvoir russe actuel de milliers d’enfants ukrainiens, voter cette proposition de résolution, « c’est répondre aux tentatives d’effacement de la mémoire collective, car dans la guerre informationnelle qui se joue, il est impératif de qualifier avec justesse les crimes commis, hier et aujourd’hui ».
Suivons l’exemple du Parlement européen, du Bundestag, de la Chambre des représentants de Belgique et de nos collègues députés, et votons cette résolution visant à qualifier de « génocide » les crimes barbares de l’Holodomor ukrainien et à les inscrire dans l’histoire.
Il y va aussi de notre devoir d’humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)