Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je viens d'un département où les parcelles sont petites, mais où l'attachement à la terre est grand.
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J'ai souvenir de mon grand-père paysan, né en 1904, qui se déclarait « propriétaire » sur les actes d'état civil, en lieu et place de sa profession. Il ne possédait pourtant que quelques hectares de noyers dans la vallée de la Dordogne et de maigres landes sur le causse. Une fierté ! La mienne encore aujourd'hui.
Évidemment, cette proposition de loi est bien éloignée de ce modèle anthropologique, séculaire, qui sous-tend le rapport à la terre dans des départements comme le mien.
Et pourtant, elle peut sûrement répondre à des réalités différentes, en d'autres lieux, ou nouvelles, en d'autres temps.
On se rappelle le slogan d'un rêve largement partagé à travers le monde : « La terre à ceux qui la travaillent. »
En dissociant propriété foncière et travail de la terre, ce texte touche à une fibre très sensible de nos représentations et pose la question d'un renforcement du capitalisme au sens premier du terme, dans l'agriculture.
C'était d'ailleurs mon premier élan : par principe, s'opposer à ce qui s'apparente à un pas de plus vers la marchandisation de la terre ou la financiarisation de l'agriculture.
À la réflexion, je pense que, comme souvent, l'écueil serait de se focaliser sur l'enjeu idéologique.
Le monde a changé. Pour nombre d'agriculteurs, la propriété n'est plus une priorité absolue. Ce qui compte, c'est la stabilité du foncier, que le bail rural peut, souvent, suffire à garantir complètement.
De plus, le capital des GFAE ne serait pas ouvert aux sociétés, à l'exception de celles qui sont autorisées par le code rural, et les Safer conserveraient leur droit de préemption en cas de cession de l'ensemble des parts. Bref, des garde-fous existent.
La mobilisation de capitaux privés dans la propriété foncière fera-t-elle plus encore de l'exploitant un exploité agricole ? Pas sûr ! Je pense que le mal dont souffre la profession prend racine sur d'autres terrains.
Chacun d'entre vous, mes chers collègues, connaît la réalité du monde agricole français. En une génération, nous avons perdu les deux tiers des effectifs.
Dernièrement, au congrès des maires du Lot, Jérôme Fourquet avait cette formule frappante : « L'agriculture est le plus grand plan social silencieux de l'histoire de France contemporaine. »
Oui, il est urgent d'assurer le renouvellement des générations. À ce titre, l'idée de drainer l'épargne des Français vers le financement des acquisitions foncières n'est pas inintéressante, même si rien ne permet réellement de mesurer la portée ni l'impact de la présente proposition de loi.
Pour autant, le véritable besoin en capitaux pour l'agriculture devrait concerner non pas les acquisitions foncières, mais l'innovation, la recherche et le développement, afin de répondre aux grands défis qui nous attendent : l'abandon planifié de la chimie, la pénurie de main-d'œuvre, le coût grandissant des énergies fossiles.
On ne peut pas demander aux agriculteurs de trouver tout seuls les solutions à l'immense défi de transformation qui se dresse devant eux. L'heure est à l'ouverture d'une nouvelle ère du machinisme agricole, mobilisant des capitaux publics et privés. Or cela nécessite un effort d'investissement massif, accompagné d'un véritable plan stratégique.
C'est à ce prix que l'agriculture redeviendra une puissante économie productive et que la France protégera sa souveraineté alimentaire.
Le RDSE soutiendra malgré tout cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC. – M. Thierry Cozic applaudit également.)