M. Jean-Yves Roux. Madame la ministre, il existe des décisions qui visent à atteindre des objectifs, certes louables, mais dont la mise en œuvre est source d'incompréhensions et d'injustices.
À la suite d'une condamnation de la France, le décret n° 2022-1486 du 28 novembre 2022 encadre l'utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000.
Depuis le 17 novembre 2023, les préfets ont pour mission de procéder sans délai au recensement des sites concernés. Une instruction technique appelle ainsi à une application couperet des interdictions, à une contractualisation obligatoire des mesures agroenvironnementales et climatiques, voire à une conversion en bio.
Nous sommes assez loin de la démarche concertée et volontaire choisie par la France lors de la création du réseau Natura 2000.
Dans les Alpes de Haute-Provence, les agriculteurs concernés nous font pourtant part de leur volonté d'ouvrir des discussions pour trouver des solutions concertées et contractualisées, adaptées aux réalités locales.
Dans le secteur de la lavande, déjà touché par des épisodes climatiques et épidémiques, confronté à une très forte concurrence et aidé par la puissance publique en conséquence, les lavandiculteurs du plateau de Valensole sont fortement touchés par ces restrictions, sur un périmètre de près de 15 000 hectares, sans qu'aucune concertation ni contrepartie soient envisagées.
Les arboriculteurs du département dénombrent plusieurs vergers situés dans des zones classées a posteriori dans les zones Natura 2000. Or il faut rappeler, mes chers collègues, que bien des progrès ont été réalisés depuis 1999, notamment dans la nature et l'usage des phytosanitaires employés.
Par ailleurs, et nous avons tout lieu d'en être fiers, des investissements importants ont été réalisés sur ces exploitations pour économiser la ressource en eau, entre autres, grâce à des procédés respectueux de l'environnement. Ces arboriculteurs ont ainsi été aidés dans leur transition écologique par des financements publics, ce qui a permis à leurs vergers de bénéficier de la classification « exploitation de haute valeur environnementale ».
Aujourd'hui, l'application stricte de ces nouveaux zonages ne prend pas en compte les progrès réalisés depuis lors. Elle fragilise notre filière arboricole, qui subit des distorsions de concurrence majeures, alors que 71 % des fruits consommés sur notre territoire sont importés.
Madame la ministre, nos lavandiculteurs et arboriculteurs encaissent un coup supplémentaire. Aussi, je demande que des concertations soient ouvertes pour évaluer au mieux la possibilité de contractualisations locales tenant compte des progrès réalisés et, si besoin, pour mettre en œuvre des mesures d'indemnisation adéquates. Nous savons que des exceptions sont possibles, comme en témoigne la décision que vous avez prise le 5 avril concernant la betterave sucrière.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Jean-Yves Roux, je vous remercie de cette question, qui montre que la gestion environnementale de l'agriculture suppose à la fois nuance et concertation.
Vous l'avez dit, la gestion des sites Natura 2000 repose sur des mesures de protection de la faune et de la flore, adaptées aux situations locales, formalisées dans des contrats et des chartes.
Rappelons quelques chiffres : le réseau français Natura 2000 comporte un peu plus de 1 750 sites terrestres et marins, représentant une surface terrestre de 7 millions d'hectares au total, soit environ 10 % de la surface agricole utile nationale. La moitié environ de cette surface est en prairie permanente, donc peu ou non concernée par les produits phytosanitaires. L'autre partie doit conjuguer gestion de l'environnement et production, à un moment où il faut protéger nos filières pour nourrir nos populations dans l'objectif d'assurer notre souveraineté alimentaire, sachant que notre agriculture est mieux-disante d'un point de vue environnemental que celle de bien d'autres pays.
Vous faites référence à une instruction concernant la mise en œuvre du décret du 28 novembre 2022 relatif à l'encadrement de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000, qui a été envoyée aux préfets. Vous le savez, cette instruction propose une mise en œuvre de l'encadrement de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques en deux temps.
D'abord, il s'agit, à court terme, d'identifier les sites présentant des enjeux particuliers en matière d'utilisation de ces produits. Sur ces sites, des mesures réglementaires, qu'il s'agisse d'arrêtés de protection ou de zonage, pourront intervenir, mais des mesures volontaires seront avant tout privilégiées. Je le dis avec d'autant plus de force que nous travaillons actuellement sur le plan Écophyto 2030, lequel sera publié dans les prochains jours, et que nous ne souhaitons pas, c'est important de le dire, qu'il prévoie un nouveau zonage. Cela ne diminue en rien notre objectif de réduire de 50 % l'utilisation des produits phytosanitaires. Ce plan doit être coconstruit de manière raisonnée, en mettant toutes les parties prenantes autour de la table.
Ensuite, à long terme, dans le cadre de la décentralisation de l'autorité de gestion des sites Natura 2000, l'État veillera à assurer une articulation avec les régions sur l'examen et l'évaluation des objectifs de ces sites.
Vous l'avez compris, notre objectif est clair : protéger l'environnement, bien sûr – c'est l'intérêt de tous, des agriculteurs comme des citoyens –, tout en préservant nos filières, car nous avons tous collectivement intérêt à continuer de produire en France.