M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je ne vais pas vous abreuver de chiffres et de prévisions, tous aussi aléatoires, dépassés ou provisoires ; je m’en tiendrai à un propos plus général.
Le débat sur l’orientation des finances publiques pour 2021 aurait dû avoir pour cadre de référence la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022. Celle-ci reposait sur des bases réalistes et intégrait des hypothèses raisonnables sur des facteurs variables. À l’époque de son adoption, à la fin de 2017, nous avions bien noté que, face à des événements conjoncturels imprévus, la trajectoire retenue laisserait peu de marges de manœuvre pour des initiatives de relance. Personne alors n’avait anticipé le coût budgétaire du mouvement des « gilets jaunes », encore moins celui de la crise sanitaire majeure que nous connaissons…
Face à un choc économique massif, qui aurait sans doute pu être atténué si nous avions maintenu un taux d’activité plus élevé en mars et avril, la réponse du Gouvernement et du Parlement en termes de soutien à l’économie a été à la hauteur des enjeux pour préserver notre appareil productif et nos structures économiques. Au prix, bien entendu, d’un effort budgétaire sans précédent, de 136 milliards d’euros – sans compter les mesures prises au titre du prêt garanti par l’État.
Toutefois, la récession prévue pour 2020, de 11 % du PIB, est supérieure à celles prévues pour l’Allemagne, les Pays-Bas et même, de manière plus surprenante, l’Italie.
Si l’amortisseur public a joué massivement son rôle, nos équilibres financiers sont bouleversés, et, comme il a déjà été signalé, la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 est bien entendu caduque. Il conviendra de réviser cette programmation dans les mois à venir, afin de rétablir une certaine visibilité.
Dans ce contexte, il est particulièrement difficile d’établir des prévisions budgétaires pour 2021, année où nous subirons encore les conséquences de la crise actuelle en termes de dépenses comme de recettes ; en particulier, la répercussion de la crise sur le produit de l’impôt sur les sociétés sera sensible non cette année, mais l’année prochaine.
L’incertitude majeure concerne le niveau de croissance possible pour l’année prochaine, avec des ménages encore frileux en matière de consommation – un surplus d’épargne se constitue, prévu à hauteur de 100 milliards d’euros à la fin de l’année – et des entreprises dont le surcroît d’endettement limitera nécessairement les capacités d’investissement.
J’insiste sur ce dernier point, car il me paraît sous-estimé par un certain nombre de spécialistes et par le Gouvernement : intégrer dans la structure financière des entreprises l’endettement supplémentaire lié au prêt garanti par l’État – une mesure absolument indispensable et vitale pour nombre d’entreprises –, combiné à un étalement de charges sur six, douze, vingt-quatre ou trente-six mois, affaiblira nécessairement la situation financière de nombreuses entreprises, qui auront tendance à limiter leurs investissements dans les années à venir. Ce phénomène me paraît insuffisamment anticipé.
Il faut s’attendre aussi à voir les échanges internationaux ralentir, les plans sociaux et le chômage augmenter et les défaillances d’entreprise se multiplier d’ici à la fin de l’année ; ces tendances seront probablement beaucoup plus marquées à partir de septembre que ces derniers mois, au cours desquels un filet de sécurité assez complet a été déployé.
Sur ces derniers points, le plan de relance de l’automne aura un rôle majeur à jouer pour la capacité de notre économie à rebondir.
Face à ces grandes incertitudes, l’objectif raisonnable serait de stabiliser la situation en cantonnant le surplus d’endettement dû au covid-19, amortissable et finançable avec une sorte de « CRDS XXL », et de revenir aux équilibres initiaux, actualisés, du budget 2020, sans augmenter les dépenses, ni se priver de recettes, ni dégrader le niveau des prélèvements obligatoires, et en maintenant un niveau élevé d’investissements publics. Car, comme l’a expliqué plus tôt dans l’après-midi Roger Karoutchi, certains investissements publics sont des outils de relance en même temps qu’ils répondent à des objectifs de lutte contre le réchauffement climatique ; c’est le cas, en particulier, des investissements, dont notre pays a grand besoin, destinés à moderniser les infrastructures ferroviaires et fluviales.
Monsieur le ministre, l’équation, je le reconnais, est difficile à mettre en œuvre ; mais, à défaut d’être flamboyante, notre trajectoire doit rester à la fois prudente et rassurante !