Projet de loi de finances pour 2019 : Aide publique au Développement bis
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Jean-Claude Requier, appelé, avec une délégation d'élus radicaux, par M. le Premier ministre à donner son point de vue dans le cadre des consultations que celui-ci mène en ce moment. J'exposerai donc la totalité du rapport, puisque nous devions nous partager la présentation des crédits de cette mission.
L'exercice 2019 constituera une année charnière pour notre politique d'aide publique au développement : les décisions prises cette année détermineront si notre pays respectera l'objectif posé par le Président de la République d'une aide représentant 0,55 % de notre revenu national brut, ou RNB, en 2022.
En effet, étant donné le décalage entre l'engagement des crédits et leur décaissement effectif, qui dépend de la mise en œuvre concrète des projets, le niveau de l'aide publique au développement de la France en 2022 dépend en grande partie du niveau des engagements de 2019.
C'est donc à l'aune de cet objectif que nous avons analysé la présente mission, en nous demandant, monsieur le ministre, si les moyens engagés nous placent sur la bonne trajectoire en attendant la loi de programmation dont la discussion devrait intervenir en 2019 et qui détaillera les moyens consacrés à cette politique dans les années ultérieures.
Tout d'abord, quelle est l'évolution des moyens financiers affectés au développement en 2019 ?
Je ne m'attarderai pas sur les éléments techniques qui figurent dans le rapport spécial, mais je souligne que les circuits de financements connaissent cette année deux changements significatifs : d'une part, l'Agence française de développement, l'AFD, ne percevra plus de « ressource à condition spéciale », à la suite de sa requalification comptable par l'Office statistique de l'Union européenne, Eurostat, et l'Institut national de la statistique et des études économiques, l'INSEE, et, d'autre part, le Gouvernement a choisi de « rebudgétiser » la part de la taxe sur les transactions financières affectée à l'AFD.
Cette rebudgétisation a été critiquée par certaines ONG, mais nous ne partageons pas cette vision. La taxe sur les transactions financières, ou TFF, est affectée au Fonds de solidarité pour le développement, le FSD, et à l'AFD. La part affectée au FSD ne diminue pas d'un euro, et les moyens de l'AFD sont augmentés dans des proportions quatre fois supérieures à la perte de la TTF. Aussi, ces critiques nous semblent focalisées sur l'outil plutôt que sur le niveau des moyens.
En définitive, en tenant compte de ces évolutions des circuits de financements, nous constatons un effort substantiel en faveur du développement en 2019, en autorisations d'engagements du moins. Au total, celles-ci augmentent de 1,4 milliard d'euros par rapport à 2018. L'effort est moindre en crédits de paiement, qui augmentent de 127 millions d'euros sur l'ensemble de la mission.
Il est normal de constater un écart significatif, même si cela peut paraître bizarre, entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement, étant donné le temps de mise en œuvre des projets, mais le plus important est de pouvoir engager de nouveaux projets dès 2019. Cependant, concrètement, si les moyens pour engager des projets sont là, une grande partie de l'effort financier, vous le savez bien, monsieur le ministre, est reporté aux années ultérieures.
Cet effort financier est d'autant plus nécessaire que nous ne respectons toujours pas nos engagements internationaux et que nous sommes distancés par nos voisins. Certes, notre aide a fortement progressé – de 15 % – en 2017 et atteint 0,43 % de notre revenu national brut, mais nous restons distancés par l'Allemagne et le Royaume-Uni, dont l'aide représente respectivement le double et 60 % de plus que la nôtre. Cet écart s'explique notamment par le niveau des dons bilatéraux, trois fois supérieurs chez nos voisins.
Sommes-nous sur la bonne voie pour atteindre l'objectif de 2022 ?
Le budget pour 2019 n'apporte pas les réponses attendues. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID, a défini en février dernier une trajectoire en pourcentage du RNB, mais sans la traduire budgétairement.
Notre aide publique au développement, au sens de l'OCDE, devra augmenter en 2022 de 5 milliards d'euros par rapport à 2017, sans que cela signifie qu'il faille réaliser un effort financier de cet ordre, compte tenu de l'effet de levier des prêts. Nous n'avons pas obtenu plus de précisions sur le montant des crédits budgétaires qui seront nécessaires pour y parvenir. Cette trajectoire sera définie – ou du moins il faudra y veiller – dans la future loi de programmation de l'aide publique au développement, qui devrait être examinée au Parlement au premier semestre 2019. Des arbitrages budgétaires difficiles vont devoir être rendus. Il faudra fixer précisément le niveau des autorisations d'engagement et des crédits de paiement jusqu'en 2022 au moins.
Malgré ces points à préciser, nous constatons suffisamment d'éléments positifs pour accorder une confiance, certes vigilante, au Gouvernement et considérer que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre l'objectif. En effet, ce budget porte une hausse inédite des moyens financiers. De même, nous observons un engagement personnel du Président de la République sur ce sujet, qu'il aborde régulièrement lors de ses déplacements et qui s'est illustré dans la création d'un « conseil de développement ».
Je passe à la partie du rapport que devait présenter M. Requier.
Quels sont les moyens dont disposera l'AFD en 2019 ? Ces moyens vont considérablement augmenter. S'agissant des dons, l'AFD disposera de près d'un milliard d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement. En crédits de paiement, en revanche, l'augmentation n'est que de 68 millions d'euros. On observe à nouveau ce décalage entre autorisations d'engagement et crédits de paiement, qui confirme que le gros de l'effort financier est à venir. Ce milliard d'autorisations d'engagements supplémentaires sera décaissé sur treize années. Concernant les prêts, l'AFD bénéficiera de 500 millions d'euros supplémentaires de bonification, qui devraient lui permettre d'accorder 1,5 milliard d'euros d'engagements supplémentaires.
Par ailleurs, l'augmentation de l'activité de l'Agence remet à l'ordre du jour un sujet régulièrement abordé devant la commission : le niveau des fonds propres de l'Agence. Comme vous le savez, l'AFD est une société de financement, soumise au respect des ratios prudentiels, qui peuvent l'empêcher de prêter à certains États, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, par exemple au Maroc ou en Colombie.
L'article 71 bis du présent projet de loi de finances prévoit une solution à court terme : l'État apportera une garantie explicite à certains prêts souverains accordés par l'Agence, et ce dans la limite de 750 millions d'euros. Par ailleurs, à compter de 2020, il faudra envisager un renforcement des fonds propres de l'agence.
Par ailleurs, une des conditions essentielles de l'atteinte de l'objectif réside dans la capacité de l'AFD à absorber cette hausse de son activité.
D'après les informations que nous avons recueillies, pour respecter l'objectif de 0,55 % en 2022, il faudra, à cette date, que les engagements de l'Agence s'élèvent à 17,6 milliards d'euros, soit une multiplication par deux en six ans. Demander à un opérateur de multiplier par deux son activité en aussi peu de temps n'est pas anodin, c'est donc l'une de nos préoccupations. S'y ajoutent des inquiétudes sur la capacité des pays en développement à absorber des volumes de prêts en hausse importante.
Je dirai un mot sur la répartition entre l'aide bilatérale et multilatérale.
Le budget pour 2019 met l'accent sur la hausse de notre aide bilatérale, à travers les ressources de l'AFD. En effet, le CICID a décidé que l'aide bilatérale bénéficiera des deux tiers de l'augmentation des crédits d'ici à 2022. Cette priorité en 2019 est d'autant plus logique que l'aide bilatérale est plus longue à mettre en œuvre que l'aide multilatérale.
Nous soulignons cependant la nécessité de ne pas négliger notre aide multilatérale, dans un monde où le multilatéralisme est fortement contesté, notamment aux États-Unis.
Je terminerai mon intervention en présentant l'article 72, rattaché à la mission.
Cet article autorise à souscrire à l'augmentation de capital de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et de la Société financière internationale. Ces deux institutions multilatérales appartiennent au groupe de la Banque mondiale.
La première intervient auprès des pays à revenu intermédiaire et dans des pays plus pauvres, à condition qu'ils soient solvables ; la seconde intervient pour sa part dans les pays en développement, mais exclusivement auprès du secteur privé. Cette souscription correspond à un coût total de 464 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 93 millions d'euros en crédits de paiement par an entre 2019 et 2023.
Cette augmentation de capital s'accompagne d'évolutions au sein de la Banque mondiale conformes aux souhaits de la France, y compris en ce qui concerne sa gestion. De plus, cela permettra de maintenir la place de notre pays au sein de l'actionnariat de cette institution.
Pour l'ensemble des éléments que j'ai présentés, la commission des finances vous invite à adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers, ainsi que l'article 72 rattaché à la mission. (M. Richard Yung et M. le président de la commission des affaires étrangères applaudissent.)
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