Proposition de loi tendant à assurer l'effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avec la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains, nous nous penchons sur une question éminemment sensible, celle du droit de grève et des restrictions que nous pouvons ou pas lui apporter.
Une fois n'est pas coutume, notre groupe, riche de sa diversité, ne se positionnera pas de façon unanime. Chacun votera selon ses convictions, et c'est avec les miennes que je m'exprime devant vous.
Avant d'aborder le contenu même du texte, on peut légitimement soulever un préalable : la période est-elle la plus opportune pour en débattre, alors que les perturbations issues des grèves contre la réforme des retraites ont hystérisé la situation ?
C'est un sujet grave, mettant en jeu l'une nos libertés publiques fondamentales et fondatrices. Nous nous devons donc d'aborder ce type de réflexion dans le calme et dans un climat apaisé, détachés, les uns et les autres, des émotions que nous avons pu vivre ces dernières semaines... Des émotions nécessairement affectées par nos situations individuelles, selon, par exemple, que l'on est francilien ou provincial, usager ou non des transports en commun.
Sur le sujet précis de l'encadrement du droit de grève, nos réflexions doivent être guidées, il me semble, par deux principes que j'estime fondamentaux : la nécessité et la proportionnalité.
En d'autres termes, notre législation actuelle apparaît-elle à ce point inopérante ou insuffisante pour que sa modification soit rendue nécessaire ? Et l'atteinte au droit de grève est-elle adaptée aux objectifs que l'on vise ? Surtout, ces objectifs autorisent-ils à restreindre un droit constitutionnel, chèrement acquis à grand renfort de luttes sociales ?
Ce droit fondamental, au cours de notre histoire, aura permis aux salariés de notre pays d'obtenir des avancées ou de corriger des réformes qui leur étaient excessivement défavorables. L'exemple, pris au hasard, de la mobilisation massive contre la réforme des retraites en 1995 le montre bien, avec ses 5 millions de jours de grève cumulés et les 2 millions de personnes dans la rue le 12 décembre 1995...
Issu du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, je puis par ailleurs témoigner de mobilisations ouvrières historiques, réprimées parfois dans la violence militaire et dans le sang, qui méritent tout notre respect et toute notre considération, et qui commandent la plus grande prudence chaque fois que l'on s'interroge sur leur restriction.
Sur le fond du texte qui nous est soumis, j'aimerais partager avec vous plusieurs réflexions et interrogations.
En premier lieu, sur un sujet aussi important, on ne peut regretter que la proposition de loi ne soit pas sous-tendue par une étude d'impact préalable. Je n'ai pas parlé de référendum... Une telle étude aurait permis, sans nul doute, d'évaluer ses avantages, mais aussi ses inconvénients, tout autant que sa faisabilité.
En second lieu, je reste convaincu qu'il ne nous faut pas légiférer à l'excès sur un sujet de cet ordre. Au contraire, nous devons faire confiance à l'intelligence collective, ainsi qu'à l'arsenal des règles existant d'ores et déjà.
On nous dit que ces règles seraient inefficaces, car elles ne permettraient pas d'assurer un service minimum en cas de grève massive. Le taux de 90 % a même été avancé par certains...
Je suis de ceux qui pensent qu'une mobilisation d'une telle ampleur ne doit pas nous amener à imaginer quelle restriction apporter au droit de grève, mais plutôt à réfléchir au bien-fondé d'une réforme qui soulève une telle unanimité contre elle.
Vous l'aurez compris, j'estime que la restriction proposée est disproportionnée.
La référence au tiers des dessertes quotidiennes aux heures dites « de pointe » l'était tout autant, mais j'avoue ne pas forcément être rassuré par le texte issu de la commission. Et M. le secrétaire d'État a parlé de 50 % !
La référence au tiers n'est plus présente. Le renvoi à l'évaluation par l'autorité organisatrice du niveau de desserte suffisant peut induire, certes, une exigence moindre, mais aussi, pourquoi pas, plus importante.
En outre, la notion de période de pointe apparaît elle-même complexe à définir et sujette à interprétation, ce qui pourrait laisser présager d'importantes difficultés pratiques dans sa mise en œuvre.
Au-delà, la proposition de loi autorise la réquisition d'agents des entreprises de transport, au motif que le service minimum, tel qu'il existe aujourd'hui, serait inefficace. La logique du texte est donc bien – pardonnez-moi l'expression – une casse du droit de grève, à laquelle je ne peux souscrire.
Je me permets de rappeler que la réquisition est une décision forte, privant les salariés de l'exercice de leur droit de grève et les exposant à des sanctions disciplinaires en cas de refus. Il faut donc l'autoriser avec la plus grande mesure !
S'engager sur la voie d'un tel durcissement des restrictions au droit de grève pourrait ouvrir la porte à d'autres velléités... Avec, il y a lieu de le craindre, la mise en débat d'autres propositions de lois limitant le droit de grève dans d'autres secteurs affectant les déplacements de nos concitoyens, comme le transport routier, les raffineries ou encore les ports.
Je comprends l'exaspération des Franciliens et de tous nos concitoyens qui ont subi les inconvénients de cette grève d'une amplitude et d'une durée rares dans notre pays, mais à qui la faute ? Y répondre par la restriction du droit de grève emporte, à terme, le risque de vider ce droit de son contenu !
Si faire grève n'entraîne plus aucune gêne, la grève ne sera plus un moyen de pression et condamnera, au bout du compte, tout rapport de forces entre opposants et défenseurs d'une réforme.
Et que dire sur l'amende forfaitaire possiblement infligée à l'entreprise défaillante ? Une nouvelle fois, les auteurs du texte se positionnent du côté de la sanction dans un champ qui relève, selon moi, prioritairement et principalement de la négociation.
Il vous sera aisé de comprendre que, pour toutes ces raisons, je ne suis pas non plus favorable à l'extension du service minimum à d'autres secteurs, comme le prévoit le texte pour les transports maritime ou aérien.
Les articles 9 et 10 nouveaux, ajoutés par la commission saisie au fond, introduisent la caducité du préavis de grève et la possibilité d'imposer une grève sur toute la durée du service. Ils n'emportent pas non plus mon adhésion, dès lors qu'ils reflètent cet esprit de contrainte et de restriction que j'ai pu dénoncer auparavant.
Enfin, même si cela peut apparaître anecdotique à l'échelle du texte, l'article 6, consacré à l'amélioration des modalités de dédommagement des usagers, mérite qu'on le soutienne.
Pour conclure, mes chers collègues, je ne suis pas opposé au service minimum, ou encore à l'encadrement du droit de grève, mais j'estime que les mesures inscrites dans cette proposition de loi ne sont ni opportunes ni justifiées.
Pour ma part, je voterai contre ce texte, même si au sein de mon groupe, cette position ne fait pas l'unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
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