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Débat sur le thème : "Quel avenir pour l'enseignement agricole ?"

La parole est à M. Henri Cabanel.

 

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, notre agriculture manque de bras. La situation est tendue : 70 000 offres d'emploi ne sont pas pourvues, et les agriculteurs font de plus en plus appel à des sociétés qui font travailler de la main-d'œuvre étrangère.

Pourtant, le ministère de l'agriculture arbore des chiffres toujours satisfaisants concernant les établissements d'enseignement agricole : 800 établissements privés et publics, 195 000 élèves, étudiants et apprentis. Cherchez l'erreur…

La réalité est, en fait, tronquée. Depuis plus d'une décennie, la filière des services à la personne a supplanté les filières de production : parfois, certains lycées agricoles n'ont d'agricole que le nom.

En plus des formations relatives aux services à la personne suivies à 90 % par des filles, on y trouve des formations paysagères, certes plus chics, des formations de soigneurs d'animaux ou en matière d'hippologie, certes plus gentleman-farmer. Derrière ces changements de formation – vous l'aurez compris –, se cachent des enjeux d'image.

Ils reflètent également la mutation de notre ruralité, qui est de moins en moins agricole : les filles et les fils de paysans, ne voulant plus reprendre les exploitations, désertent ces filières – comme cela a été dit, seulement un élève sur dix est un enfant d'agriculteurs.

Se poser la question de l'avenir de l'enseignement agricole, c'est donc inévitablement se poser celle de l'avenir de notre agriculture et de son attractivité pour les jeunes.

J'évoquerai d'abord le contexte.

Les lycées agricoles, qui se distinguent des autres lycées professionnels sous tutelle du ministère de l'éducation nationale, ont notamment pour mission de participer à l'animation et au développement des territoires. En 1984, date de la loi Rocard, cet enjeu avait toute sa portée, car les lycées agricoles formaient majoritairement des enfants d'agriculteurs ou des jeunes qui voulaient le devenir.

Aujourd'hui, la donne a changé puisqu'ils forment à d'autres métiers que la production agricole. Cela entraîne des conséquences, relevées notamment par le Conseil national de l'enseignement agricole privé. Ses responsables indiquent : « l'avenir de l'enseignement agricole sera pleinement pris en compte par les acteurs locaux quand sera mieux reconnue sa capacité de satisfaire certaines des politiques publiques territoriales. Il s'agit de changer de regard et de considérer désormais les lycées agricoles comme des partenaires des politiques publiques territoriales en leur donner les moyens de réaliser cette interface entre monde économique, population et éducation des jeunes ou des adultes en formation continue. Ces lycées sont des centres de ressources pour les territoires. »

Ceci me semble essentiel : il est primordial de coller aux besoins des territoires, car leurs mutations démographiques, sociologiques, économiques, paysagères et environnementales affectent directement l'avenir de l'enseignement agricole.

Sous la houlette du ministère de l'agriculture, des experts ont planché sur ce thème au mois de juillet dernier. Ils ont élaboré quatre scenarii à l'horizon 2030 : premier scénario, une dualité entre le rural et urbain ; deuxième scénario, une économie verte ; troisième scénario, la politique du moins cher ; quatrième scénario, le lien social.

Tous présentent des caractéristiques communes : la capacité à l'encadrement d'équipe, car le salariat va se développer, les circuits courts, les métiers de la médiation, le conseil en agroécologie, les compétences en analyse de données, la e-maintenance et la compétence prédictive, les métiers de la qualité…

Autant d'horizons pour demain… Mais à quoi serviront nos techniciens agricoles, nos ingénieurs agronomes, nos experts en organisation si notre agriculture se meurt ? Quel avenir pour ces diplômés ?

On en revient à la question préalable de l'avenir de notre agriculture, car on ne maintiendra pas une agriculture sans agriculteurs.

Or nous les perdons, c'est une réalité. En attestent la baisse du nombre d'exploitations et d'exploitants, l'artificialisation des sols ou le fait qu'un agriculteur se suicide chaque jour…

En cause, les normes toujours plus contraignantes, la lourdeur administrative, la pression de la concurrence sur un marché mondialisé, les aléas climatiques et sanitaires, et des prix d'achat non rémunérateurs.

La véritable question est la suivante : comment redonner une image attractive à ce métier ? Que dire aux jeunes pour leur donner l'envie de s'installer ? Comment inciter l'éducation nationale à valoriser cette filière dans ces conditions ?

Je rappelle que le taux de réussite au bac dans les lycées agricoles est supérieur aux taux nationaux : 93,2 %, alors qu'il n'est que de 81,8 %, par exemple, pour le bac scientifique.

J'ai interrogé des jeunes et des responsables de lycées professionnels de mon département. Tous pointent du doigt l'image déplorable du secteur, complètement décrédibilisé. Aujourd'hui, lorsqu'un jeune dit qu'il va suivre une formation agricole, on en déduit qu'il n'est pas bon à l'école. Le proviseur d'un établissement me l'a confirmé, en indiquant que les filières paysagères ou concernant les soins de chevaux plaisent plus, car le métier visé paraît moins dur et l'image bien meilleure. Quel désastre ! Comment en sommes-nous arrivés à ce point de dénigrement de notre agriculture ?

En 2006, notre collègue Françoise Férat introduisait son rapport d'information par ces mots : « votre rapporteur a pu voir se creuser, au fil des années, le décalage entre les discours et la situation sur le terrain. En effet, au-delà des préoccupations budgétaires, devenues centrales ces dernières années, un climat de malaise s'installe peu à peu chez l'ensemble des acteurs et partenaires de l'enseignement agricole. »

Elle y préconisait notamment de ne plus tenir l'enseignement agricole à l'écart des procédures d'orientation des élèves et de promouvoir une image plus moderne et attractive des filières et des métiers.

Treize ans plus tard, les préconisations pourraient être les mêmes, car si l'enseignement agricole a su adapter le contenu des formations aux mutations des territoires en dédiant un tiers de ce contenu aux aménagements paysagers, un tiers aux services à la personne et un tiers à la production, il s'est malheureusement surtout adapté à la baisse de l'activité agricole pour pallier le déficit d'élèves dans ces filières.

Nous sommes tous coresponsables de cette baisse d'attractivité : agriculteurs, organisations professionnelles, syndicats, éducation nationale. Nous avons tous lâché prise. Et nous nous sommes arrangés pour que l'enseignement agricole survive.

L'Occitanie a su renverser cette tendance en menant une politique de cohérence sur l'analyse des formations et de leur implantation, en concertation notamment avec les chambres d'agriculture.

Les vraies réponses à la question de l'avenir d'un enseignement redevenu agricole passeront forcément par un travail sur la juste rémunération des agriculteurs, car notre agriculture répond à des enjeux transversaux et fondamentaux pour coller à l'attente sociétale : santé publique, environnement, économie, aménagement du territoire, évolution des goûts des consommateurs.

Il faut absolument penser notre politique agricole de son enseignement à la production en adoptant une stratégie à la hauteur de ces enjeux, et s'en donner les moyens budgétaires. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, SOCR et CRCE.)

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