Projet de loi de ratification de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin ! Enfin, nous allons pouvoir nous prononcer sur le Ceta.
En effet, pendant plus de sept ans après sa signature, nous avons assisté à un déni total de démocratie.
En 2017, un Ceta provisoire a été mis en place en France, car le Canada avait exigé que l’on n’attende pas la validation des Parlements nationaux.
En 2019, seule l’Assemblée nationale a voté sur le texte, par cinquante-quatre voix d’avance, et le provisoire a duré… C’est nier le Sénat et nier le bicamérisme. Pourquoi la Haute Assemblée a-t-elle ainsi été privée de vote ? Est-ce parce que son vote dérange ?
Je veux remercier très sincèrement notre collègue Fabien Gay et le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui, en 2021, ont mis sous les projecteurs cette situation grotesque en déposant une proposition de résolution. Aujourd’hui, ils vont plus loin, en inscrivant l’examen de ce projet de loi dans le cadre de leur niche parlementaire.
Après six ans, il est possible de tirer un bilan. Celui-ci est très bon pour les uns, fragilisant pour les autres. Il faut donc voir l’intérêt global de la France, mais surtout identifier l’ensemble des enjeux, qu’ils soient économiques, environnementaux, sociétaux ou de santé publique.
En matière économique, depuis 2017, les exportations françaises vers le Canada ont augmenté de 33 %, mais les importations ont augmenté de 35 %, pour un effet neutre, voire légèrement négatif sur notre solde commercial avec ce pays, encore loin d’exploiter pleinement tous les quotas octroyés par l’accord, contrairement à l’Europe.
Je veux rester objectif, car les membres du groupe RDSE sont partagés sur le Ceta. Nous ne pouvons négliger le fait que celui-ci est aussi un catalyseur des échanges européo-canadiens dans certains secteurs, comme le textile, la chimie, les produits manufacturés, les biens et services ou encore les vins et spiritueux.
Alors que l’Europe travaille à la diversification de ses sources d’approvisionnement, les industries canadiennes de l’aluminium, du fer, du nickel et du cuivre profitent de la suppression des barrières tarifaires. Il est indéniable que cela permet à l’Union européenne de moins dépendre des marchés russe et chinois.
Parlons maintenant de ce qui fâche.
Les concessions de la Commission européenne sont en complète contradiction avec le Pacte vert. Ainsi, le Ceta s’accommode de ce qui constitue plusieurs sujets de préoccupation majeurs pour notre agriculture : les protéines animales transformées, non autorisées en Europe, les farines animales, non autorisées en Europe, ou encore les 41 substances actives phytosanitaires, non autorisées en Europe.
Une autre concession est l’absence de garantie qu’aucune viande aux hormones ne sera exportée vers l’Union européenne, liée à la défaillance avérée des contrôles sanitaires canadiens, démontrée par deux audits de la Commission européenne, en 2019 et en 2022. Quant à l’interdiction de l’importation d’animaux nourris aux antibiotiques simulateurs de croissance, il faut se contenter, pour toute garantie, d’une attestation sur l’honneur du vétérinaire, sans contrôle lié.
Monsieur le ministre, alors que nous traversons une crise agricole sans précédent et que les clauses miroirs ont été l’une des revendications des filières, notamment celle de la viande, comment pouvez-vous assumer de telles importations quand tout le monde sait que les contrôles sont impossibles ?
Enfin, je rappelle que l’article 44 de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) interdit la vente de produits agricoles ou de denrées alimentaires qui ne sont pas autorisées à la production ou à la vente en France. Certes, l’interdiction porte sur la vente, et non sur l’importation. Mais comment est-il possible que ces denrées finissent par être vendues en France ?
Comme notre collègue Annick Girardin l’a souligné lors de la séance de questions au Gouvernement du 6 mars dernier, l’article 1.3 du Ceta reconnaît explicitement la zone économique exclusive (ZEE) et le plateau continental du Canada, tels qu'ils sont définis dans le droit interne canadien. Dans la mesure où aucune disposition équivalente n’existe concernant la ZEE et le plateau continental des États membres de l’Union européenne, l’absence de toute réserve ou de déclaration interprétative risquerait, à l’évidence, de constituer un abandon de prétention française légitime dans la zone, pour ce qui est tant de la ZEE que du plateau continental.
Par conséquent, monsieur le ministre, il est urgent de confirmer aujourd’hui devant le Sénat que des travaux sont en cours pour corriger cette défaillance !
Compte tenu du vote intervenu en commission, nous savons qu’une large partie de notre assemblée risque de s’opposer au Ceta. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, même certains de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui, à une époque, avaient soutenu l’accord, ont changé d’avis.
Nous nous interrogeons : comment agira le Gouvernement ? Sa position risque d’être délicate. Convoquerez-vous une commission mixte paritaire ? Allez-vous envoyer le texte en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, ou assumerez-vous de ne pas l’inscrire à son ordre du jour et, ainsi, de ne rien faire ?
M. Didier Marie. Bonne question !
M. Henri Cabanel. Vous savez bien que, dans un contexte exacerbé de mal-être des agriculteurs et de forte pression sociétale, ce texte ne fera pas l’unanimité.
Il faut avoir le courage de déplaire à certains pour répondre à des enjeux plus élevés, qu’ils soient économiques, environnementaux ou de santé publique.
Le vigneron que je suis, et dont la filière est bénéficiaire, ne peut accepter qu’un accord génère des gagnants et des perdants. Pour notre souveraineté alimentaire, toutes les filières de notre agriculture doivent être solidaires. Pour moi, tout accord doit être gagnant-gagnant, ce qui, à mon avis, n’est pas le cas du Ceta. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, CRCE-K et GEST.)
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