Projet de loi relatif à la bioéthique
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui les débats sur un texte à part dans notre travail législatif, qui nous convie à des questionnements quasi philosophiques et sur lequel les clivages traditionnels ne tiennent plus. Tous les groupes politiques ont d'ailleurs renoncé à donner une consigne de vote, pratique que le groupe du RDSE expérimente régulièrement. (Sourires.)
La France a fait le choix de confier aux représentants du peuple, et donc au peuple, les décisions en matière de bioéthique. C'est le peuple qui tranche sur le permis et l'interdit face à des progrès scientifiques qui font que la médecine ne se contente plus de soigner les malades.
Ce débat renvoie à un conflit de valeurs qui concerne chacun d'entre nous. Il s'agit non pas d'un conflit entre le bien et le mal, mais d'une lutte entre deux biens, deux éthiques : celle du libre choix du patient et celle de la protection des plus vulnérables.
Ainsi, c'est à nous, en tant que représentants du peuple, de nous prononcer sur notre propre conflit de valeurs, en gardant toujours à l'esprit l'intérêt général, qui n'est jamais la somme des intérêts particuliers. Ces dilemmes éthiques se résolvent non pas par l'absolutisme d'une valeur sur les autres, mais par la recherche de solutions qui prennent en compte les avancées de la science et de la société.
En cela, je le disais, ce projet de loi ne ressemble à aucun autre. Il pose une question simple dont la réponse est complexe : est-ce que la société veut ce que la science peut ? En d'autres termes, est-ce que cela doit être autorisé parce que cela est possible ?
Considérant, comme le dit si bien Jean Leonetti, qu'il est important de continuer à énoncer l'interdit, je m'efforcerai de vous présenter ma position sur les grandes mesures de ce texte, hormis celles qui concernent le don d'organes sur lesquelles mon collègue Jean-Pierre Corbisez se prononcera. Bien que cheffe de file de mon groupe, je m'astreindrai à parler en mon nom propre, afin de laisser à mes collègues le soin de se faire leur propre avis au fil des discussions.
Compte tenu des très nombreuses sollicitations que nous avons reçues et qui, pour un certain nombre, provenaient de personnes qui diffusaient sciemment de fausses informations, j'aimerais commencer mon propos en rappelant ce que ce projet de loi ne contient pas.
La gestation pour autrui, l'eugénisme et les chimères ne figurent pas dans ce texte, et rien ne permet d'affirmer que les dispositions de ce projet de loi ouvrent une quelconque porte à leur légalisation.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. Le Gouvernement, comme la majorité des parlementaires, a réaffirmé son opposition à ces pratiques. Brandir la GPA pour refuser la PMA, c'est nier le débat parlementaire qui s'engage. L'une n'est pas liée à l'autre.
Comme l'a rappelé le rapporteur Bernard Jomier en commission – et je partage ses propos –, lorsqu'on regarde en arrière, on constate que les précédents débats sur les lois de bioéthique ont suscité les mêmes craintes de dérives, et on voit avec le recul qu'elles n'étaient pas tout à fait justifiées. En effet, le législateur a mis en place un dispositif efficace qui permet, soit d'interdire une technique, soit de l'autoriser dans un cadre qui limite les risques et garantit les évaluations.
Pour autant, sur la question de la GPA, j'ose dire avec lucidité que la situation actuelle entraîne déjà une marchandisation du corps : c'est bien parce qu'il n'y a pas d'éthique, pas de doctrine, pas d'encadrement dans notre pays dans ce domaine que des ventres sont à louer à l'étranger.
M. Yvon Collin. Eh oui !
Mme Véronique Guillotin. Toutefois, même si le débat mérite d'être ouvert, tel n'est pas l'objet de ce projet de loi.
Les enfants issus d'une GPA à l'étranger existent : nous ne pouvons pas les ignorer. Considérant qu'il faut d'abord les protéger, j'ai déposé un amendement de suppression de l'article 4 bis relatif à la transcription de l'acte de naissance des enfants nés d'une GPA à l'étranger : l'enfant n'est pas responsable de son mode de procréation et ne doit pas en être pénalisé.
J'en viens maintenant à la question qui a occupé et qui occupera une bonne partie de nos discussions : l'extension de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires – je préfère ce terme à celui de femmes « seules » qui reflète, à mon sens, un jugement de valeur discutable.
D'abord, sur la forme, je suis d'avis que cette mesure aurait dû faire l'objet d'une loi à part, une loi sociétale à l'instar de celle sur le mariage pour tous. Les débats sur l'ouverture de la PMA à toutes les femmes occultent trop souvent d'autres questions bioéthiques fondamentales, malheureusement polluées par la cristallisation des peurs et des rejets.
Cela étant, j'ai abordé ce sujet comme j'essaie d'aborder toutes les questions sociétales : avec humilité, pragmatisme, progressisme et humanisme. Tout en gardant à l'esprit l'intérêt de l'enfant, souvent brandi avec force par les opposants à la réforme, je suis convaincue que, correctement régulée, la technologie renforcera le seul modèle familial qui prévaut, celui qui est fondé sur l'amour.
La légalisation du mariage pour tous avait fait craindre à certains la destruction d'un modèle familial classique, fondé sur un couple hétérosexuel marié et des enfants. En réalité, cela fait bien longtemps que ce modèle a été rejoint par d'autres. Il est nécessaire aujourd'hui de reconnaître la diversité des configurations familiales qui composent notre société.
Rappelons d'ailleurs que les célibataires peuvent adopter depuis 1996 et qu'il est interdit de leur refuser l'agrément pour ce seul motif. Dans le cas de l'adoption, comme dans le cas de la PMA, il s'agit de procédures longues qui nécessitent une réflexion mûrie, de la patience et de la détermination. On parle d'enfants attendus, désirés, parfois viscéralement. On parle de fonder la famille sur une base plus solide que la seule procréation, qui est un acte biologique, tandis que la parentalité est un acte social et affectif.
Pour ma part, vous l'aurez compris, je suis résolument convaincue de l'intérêt d'étendre la PMA à toutes les femmes, et optimiste sur ce point.
Aussi, je défendrai deux convictions lors de l'examen de l'article 1er.
Tout d'abord, pour une question d'égalité, il me paraît essentiel de garantir à toutes les femmes le remboursement de la PMA, seule condition de l'existence d'un droit réel, non soumis à des critères financiers. Le contraire aurait pour effet de créer une rupture d'égalité entre les femmes qui peuvent payer et celles qui ne le peuvent pas, comme aujourd'hui. À mon sens, il serait même logique de supprimer toute référence à l'infertilité médicale puisque, pour les couples hétérosexuels, la cause n'est pas toujours médicalement prouvée.
Ensuite, dans une perspective humaniste et parce que la situation actuelle n'est pas acceptable, je défendrai un amendement permettant aux femmes de bénéficier du transfert des embryons issus d'une fécondation in vitro en cas de décès de leur conjoint en cours de procédure. Aujourd'hui, ces embryons sont soit détruits, soit donnés à un autre couple. Demain, la femme, elle-même veuve, pourra bénéficier d'une PMA avec donneur, mais pas avoir accès aux embryons issus de ses ovocytes et des spermatozoïdes de son conjoint. Cette réglementation n'a plus trop de sens et devrait pouvoir évoluer.
Sur les dons de gamètes, les débats sont tout aussi complexes. Si l'on comprend naturellement le besoin des enfants nés d'une PMA avec donneur de connaître leurs origines, nous sommes nombreux à craindre une forte baisse des dons en cas de levée de l'anonymat, alors que ceux-ci ne permettent déjà pas de répondre à toutes les demandes.
Certains membres de mon groupe soutiendront un amendement visant à revenir au droit actuel, c'est-à-dire à l'anonymat du donneur. Pour ma part, je suis plutôt favorable au compromis trouvé en commission, qui prévoit que l'agence sollicite l'accord du donneur au moment de la demande de l'enfant, ce qui permet de respecter le désir de l'enfant et la vie privée du donneur, tout en préservant le stock de gamètes existant.
Sur d'autres sujets, je m'associe à l'excellent travail des rapporteurs.
Je ne défendrai donc aucun amendement sur l'extension à titre dérogatoire de la recherche sur le développement in vitro des embryons jusqu'à vingt et un jours, pas plus que sur l'autorisation à titre expérimental du diagnostic préimplantatoire pour la recherche d'aneuploïdies en vue d'améliorer la prise en charge des femmes en AMP et le taux de réussite des fécondations in vitro, sur la suppression de la double clause de conscience spécifique à l'interruption médicale de grossesse, ou encore sur la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital, dans la mesure où il est nécessaire d'optimiser la prise en charge actuelle.
Au-delà de mes convictions, qui me poussent à soutenir la plupart des mesures du texte initial, je suis convaincue qu'il faut laisser plus de liberté aux professionnels de santé et à nos concitoyens, en respectant la volonté, les désirs et la capacité de chacun à décider en responsabilité.
Je salue en ce sens les avancées obtenues en commission : elles permettent d'introduire des critères plus souples sur l'âge en cas d'autoconservation des ovocytes et de PMA. Comme je l'ai souvent dit, la reconnaissance tardive de maladies telles que l'endométriose, ainsi que le défaut d'information des patientes, doivent nous encourager à faire davantage, notamment en termes de préservation de la fertilité.
Je terminerai en rappelant que, sans une politique familiale volontaire et une meilleure prise en compte de la grossesse des femmes dans le monde du travail et dans la société, toutes ces bonnes intentions pourraient demeurer vaines. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendanst et UC.)
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