Proposition de loi visant à instaurer un droit effectif à l'accès à l'énergie et à lutter contre la précarité énergétique
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, facteur déclenchant de la crise des « gilets jaunes », l'augmentation du prix de l'énergie amplifiée par l'application de diverses taxes sur une même assiette demeure peu intelligible et peu acceptable pour nos concitoyens.
Le gel des tarifs de l'électricité et du gaz annoncé en janvier 2019 par le Premier ministre lui avait permis de lâcher du lest, le temps de l'hiver. L'extension du bénéfice du chèque énergie de 3,6 millions à 5,8 millions de personnes a de plus redonné du pouvoir d'achat à ceux qui en avaient le plus besoin.
Toutefois, ces mesures sont insuffisantes pour lutter contre la précarité énergétique qui concernait encore 6,7 millions de personnes en 2017. Or celles-ci consacrent plus de 8 % de leurs revenus aux dépenses énergétiques.
Mes chers collègues, nous souscrivons aux objectifs de la présente proposition de loi et je remercie Fabien Gay et le groupe CRCE de cette initiative, tout en considérant que les mesures proposées ne sont pas les plus pertinentes pour instaurer un droit effectif à l'accès à l'énergie et pour lutter contre la précarité énergétique.
Cependant, la majorité de notre groupe ne peut pas souscrire aux deux principales dispositions de ce texte, à savoir l'interdiction des coupures en matière d'énergie et les exonérations fiscales prévues.
Sur l'interdiction des coupures d'électricité, de chaleur et de gaz tout au long de l'année, nous craignons qu'elle ne profite davantage aux mauvais payeurs qu'aux ménages en difficulté qui sont les premiers à honorer leurs dettes. La majorité du groupe du RDSE ne soutiendra donc pas ce que nous considérons comme une manière de déresponsabiliser les consommateurs, alors que le droit en vigueur est suffisamment équilibré.
Cela a été dit, les coupures restent interdites au cours de la trêve hivernale, période où la consommation est au maximum et la dépense la plus contrainte. En outre, des délais supplémentaires sont accordés en cas de non-paiement de la facture, la puissance livrée en électricité pouvant être réduite. Pour ne citer qu'une partie des dispositifs existants, les ménages peuvent également obtenir une aide de la part du Fonds de solidarité pour le logement ou de leur centre communal ou intercommunal d'action sociale.
Mais encore faudrait-il que les ménages en situation de précarité connaissent les dispositifs d'aides. Il est d'ailleurs préférable d'en accroître la lisibilité et, surtout, de les affecter aux plus fragiles – Mme le rapporteur en a parlé. À ce titre, l'introduction du chèque énergie devrait permettre de réduire le taux de non-recours.
Renforçons donc l'existant et consacrons davantage de moyens à la rénovation du bâti. Pour l'ensemble de nos concitoyens, le logement est la première dépense contrainte, sans oublier bien sûr le surcoût des passoires thermiques. Le saupoudrage des subventions publiques nuit à leur efficacité. La remise à plat déjà engagée des aides va dans le bon sens.
En ce qui concerne les mesures fiscales, outre la non-conformité au droit européen et le coût élevé pour nos finances publiques après les mesures prises par le Gouvernement en matière de pouvoir d'achat, nous sommes une nouvelle fois de l'avis de notre rapporteur sur l'inapplicabilité de l'exonération de TICGN et de CSPE des ménages éligibles au chèque énergie, puisqu'il faudrait que le fournisseur ait connaissance à tout moment du statut du ménage.
De même, la mise en œuvre opérationnelle du taux de TVA réduit applicable à la première tranche de consommation d'énergie, « en tenant compte notamment de la situation familiale », est pour le moins douteuse. Cela m'évoque un souvenir, celui de la tarification progressive de l'énergie, principale disposition de la proposition de loi Brottes avant qu'elle ne soit censurée par le Conseil constitutionnel… Idée intéressante par sa dimension à la fois sociale et environnementale, elle instaurait dans les faits une usine à gaz, raison pour laquelle j'avais voté la suppression de cet article.
Enfin, il faut rappeler que la taxation élevée qui pèse sur l'énergie n'est pas une spécificité française. Peut-être faudrait-il avant tout simplifier la facture énergétique ? Et surtout, comme nos concitoyens l'exigent, faire en sorte que la fiscalité écologique soit affectée à la transition énergétique.
Mes chers collègues, l'énergie a un coût, ce qui permet d'inciter à la sobriété et à l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments.
Cela ne veut pas dire pour autant que nous justifions l'augmentation continue des tarifs de l'électricité. Le coût de l'énergie fait l'objet d'un mode de calcul précis reposant sur une base légale afin de protéger les consommateurs et de les faire bénéficier de la compétitivité du parc nucléaire. N'oublions pas les avantages attendus de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, mais il faut reconnaître que ces avantages sont assez imperceptibles pour le moment... Selon Eurostat, le prix de l'électricité a augmenté pour les ménages de 0,16 à 0,21 euro par kilowattheure entre 2008 et 2017.
Or la France se caractérise par la multiplication récente de fournisseurs qui ne produisent pas d'électricité et qui parviennent à se différencier de l'opérateur historique par leurs services et leurs offres d'électricité, même si celle-ci n'est pas si verte qu'annoncé... La délibération de la CRE proposant une augmentation de 5,9 % des tarifs réglementés de vente d'électricité a été contestée par l'Autorité de la concurrence dans son avis du 25 mars 2019. La loi relative à l'énergie et au climat offre la possibilité de relever le plafond du tarif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), possibilité à laquelle le Gouvernement n'a pas eu recours.
Il faudra donc éviter à l'avenir de maintenir une concurrence artificielle à marche forcée au détriment du consommateur. Cela n'est conforme ni aux principes généraux du droit de la concurrence ni aux objectifs de l'ouverture du marché européen de l'énergie. Comme l'a affirmé le Conseil d'État dans sa décision du 18 mai 2018, l'électricité est un produit de première nécessité non substituable. C'est ce statut particulier qui nous permet de préserver les tarifs réglementés de vente, contrairement à ce qui a été décidé pour le gaz. Nous serons donc particulièrement vigilants, lors de la prochaine réforme portant nouvelle régulation économique du nucléaire existant, à ce que les consommateurs ne soient pas les perdants de l'ouverture à la concurrence.
Dans cette attente, la majorité des membres du groupe du RDSE s'abstiendra sur cette proposition de loi.
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