Proposition de loi visant à permettre aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d'un mandat électif public victime d'agression
Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, le 5 août 2019, un homme était mortellement renversé par un fourgon qui déposait illégalement des gravats sur le bord de la route : nous nous souvenons tous de Jean-Mathieu Michel, maire de la commune de Signes, dans le Var, élu depuis plus de trente ans.
Nous avions tous été émus et affectés par cette nouvelle terrible. Ce qui débouchait sur des incivilités voilà encore quelques années donnait désormais lieu à un drame.
Le Sénat, par l'intermédiaire de la commission des lois, présidée à l'époque par Philippe Bas, avait lancé une consultation nationale.
Son rapport sur les menaces et les agressions auxquelles sont confrontés les maires est venu confirmer par des chiffres ce que chacun pressentait : 92 % des élus consultés et ayant répondu disaient avoir été victimes d'incivilités, d'injures, de menaces ou d'agressions physiques.
Trois années plus tard, rien n'indique une amélioration de la situation, tant pour les maires, considérés pourtant comme les « élus préférés des Français » que pour les autres dépositaires de l'autorité publique ou de fonctions électives.
J'ai une pensée particulière pour mes élus girondins : Philippe Bécheau, maire de Saint-Philippe-d'Aiguille, agressé le 5 août 2020 ; Cédric Gerbeau, maire de Saint-Macaire, agressé le 8 décembre 2021 ; Kilian Alliot, conseiller municipal de Sainte-Eulalie de 25 ans, agressé le 16 décembre 2021 ; Patrick Gomez, maire de Sadirac, menacé voilà quelques semaines ; et tous les autres, trop nombreux pour que je le cite ici.
Pour l'année 2021, les statistiques nationales dénombrent plus de mille agressions d'élus, allant du courriel de menace à l'attaque physique, soit une hausse de 50 % par rapport aux années précédentes, alors même que, nous le savons, peu d'élus portent plainte. Ce chiffre est donc bien en deçà de la réalité.
Nous en venons même à former les élus pour prévenir les débordements lors d'échanges difficiles avec nos concitoyens. Maires et adjoints sont en effet les premières cibles de la violence, car ils interviennent en proximité, sur des sujets souvent liés à des troubles de voisinage, à l'alcoolisation sur la voie publique, au tapage nocturne ou diurne, aux problèmes liés aux règles d'urbanisme, à la circulation routière ou encore aux violences intrafamiliales.
Toutefois, au-delà de ces motifs concrets, l'augmentation des agressions est aussi l'expression d'un phénomène plus profond. Dans son rapport d'information Jeunesse et citoyenneté : une culture à réinventer, rédigé au nom de la mission d'information Culture citoyenne, notre collègue Henri Cabanel a souligné combien « la distance entre les citoyens et le pouvoir politique s'accroît ».
Il écrit ainsi que « la capacité des institutions à trouver des solutions face à la crise actuelle, économique et sociale est régulièrement mise en doute. » Ainsi, certains semblent désormais considérer que la soumission à une norme commune ne va plus de soi et justifie toute sorte de comportements.
Qu'il y ait une forme de désenchantement envers le politique depuis plusieurs années, nous pouvons l'entendre. Il est de notre responsabilité de tout mettre en œuvre pour inverser cette tendance et y remédier.
En revanche, nous ne pouvons plus accepter d'être conciliants à l'égard des agresseurs de ceux qui se dévouent à la vie démocratique de leur collectivité. Nous ne devons plus pardonner au nom de je ne sais quel sentiment de culpabilité ou de la responsabilité coûte que coûte. Nous devons toutes et tous faire preuve d'une intransigeance intégrale.
Il s'agit de l'essence même du contrat social tel que l'ont imaginé les Lumières, de Hobbes à Rousseau. La brutalité la plus primitive ne saurait être admise comme une réponse légitime dans une société républicaine.
Malheureusement, cette banalisation de la violence, nous l'avons encore observée ces derniers jours, dans un média. Le parlementaire Louis Boyard a fait l'objet de nombreuses insultes. Si je suis loin de partager toutes ses idées, je veux lui dire mon soutien dans sa démarche judiciaire. Rien ne justifie un tel acharnement. Et, ce qui est plus grave encore, ces images contribuent à renforcer l'impunité avec laquelle des concitoyens s'en prennent aux élus locaux.
Alors, bien sûr, il existe déjà des mécanismes spécifiques pour répondre aux besoins concrets de la protection des élus. Le droit pénal permet de tenir compte de la qualité des victimes, selon qu'elles sont dépositaires de l'autorité publique, chargées d'une mission de service public ou investies d'un mandat électif.
Ainsi, une simple insulte peut être qualifiée d'outrage sur une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, plutôt que d'injure.
De même, la commission de fait au préjudice d'un élu constitue une circonstance aggravante, dès lors que la qualité de la victime est apparente ou connue de l'auteur de l'infraction et que les faits sont commis en raison de ses fonctions. C'est pourquoi il nous faut rappeler aux élus de bien décliner leurs fonctions électives lorsqu'ils interviennent auprès de personnes issues ou non de leur commune.
Cependant, au-delà du droit strict, se pose surtout la question concrète de la réponse dans les tribunaux. C'est dans ce cadre qu'existent, selon moi, des carences.
Dans de trop nombreux cas, malgré la récurrence des faits et leur gravité, nous observons que la poursuite judiciaire n'aboutit pas souvent. Une telle situation a constitué le déclencheur de la proposition de loi que nous étudions ce soir. Elle a été cosignée par 95 de mes collègues sénateurs, que je remercie ; Éric Gold, qui avait déposé un texte en la matière, l'a également cosignée.
Le Gouvernement a d'ailleurs conscience de cette carence, puisque, dans une circulaire du 7 septembre 2020, vous avez, monsieur le garde des sceaux, procédé à un rappel auprès des procureurs.
D'une part, vous leur avez enjoint de toujours veiller à retenir des qualifications pénales applicables prenant en compte la qualité des victimes, lorsqu'elles sont dépositaires de l'autorité publique, chargées d'une mission de service public ou investies d'un mandat électif.
D'autre part, vous avez insisté sur un point qui mène à l'objet même de ma proposition de loi, à savoir une réponse pénale systématique et rapide, apportée par les parquets. (M. le garde des sceaux acquiesce.)
En effet, nous avons pu constater que seulement une poignée d'agressions verbales et physiques envers les élus de la République donnaient lieu à des suites judiciaires, lesquelles sont donc loin d'être systématiques. (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.)
Dans les rares situations où une procédure judiciaire est enclenchée, on enregistre un très faible nombre de condamnations, même en cas d'agression physique. Dans la plupart des cas, les plaintes sont soit classées sans suite ou ne font l'objet d'aucune suite pénale, même pas d'un rappel à la loi ou de mesures d'éloignement du territoire de la commune.
Il y a donc urgence à proposer que les élus victimes soient mieux soutenus dans l'engagement d'une procédure pénale, afin que justice leur soit rendue.
Pour cela, j'ai considéré, en travaillant avec l'Association des maires de France, que les associations d'élus étaient les plus à même d'épauler leurs édiles dans une bataille judiciaire, car elles sont capables de mettre à disposition leur expertise, ainsi que leurs ressources.
C'est pourquoi cette proposition de loi entend permettre aux différentes associations nationales d'élus, au premier rang desquelles l'AMF, l'Association des maires de France, l'ADF, l'Assemblée des départements de France, et Régions de France, sans oublier l'AMRF, l'Association des maires ruraux de France, de se constituer partie civile pour accompagner, au pénal, tout élu qui aurait donné préalablement son accord.
Actuellement, le droit en vigueur, au travers de l'article 2-19 du code de procédure pénale, ne permet qu'aux associations départementales affiliées à l'Association des maires de France d'intervenir pour les seuls élus municipaux. Je considère qu'il est impératif d'élargir ce dispositif aux associations nationales et à nos institutions, pour couvrir l'accompagnement de l'ensemble des élus, qu'ils soient locaux, départementaux, régionaux, nationaux ou européens.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Nathalie Delattre. Le dispositif que je propose ne vise pas seulement les agressions physiques ; il permet également qu'une association nationale d'élus intervienne en cas de dégradation d'un bien d'un élu ou lorsque la victime est l'un de ses proches.
Il prévoit aussi l'incrimination de l'exposition délibérée des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser aux fins de l'exposer ou d'exposer les membres de sa famille à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens. Il s'agit d'avancées majeures, attendues depuis des mois par les élus.
Je veux saluer l'excellent travail de Mme le rapporteur, Catherine Di Folco, et des services du Sénat. Je remercie l'implication de tous nos collègues qui ont, en commission des lois, proposé des améliorations notables.
Je veux également dire, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, le travail intelligent de co-construction que nous mené avec vous-mêmes et vos services, dans l'écoute et le respect de ma proposition de loi initiale, pour aboutir non seulement à une rédaction conjointe de qualité, mais aussi, et surtout, à ce qui nous tient tous ici à cœur, à savoir l'efficacité de la loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
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