Débat, organisé à la demande de la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand affirmait que « presque toujours, en politique, le résultat est contraire à la prévision ». La pandémie liée à la covid-19 était-elle prévisible ? Si, pour certains chercheurs, elle n'était pas inimaginable, son ampleur semble avoir pris le monde entier par surprise.
Sa gestion aurait-elle pu suivre un autre cours ? Certainement ! Peut-on en tirer des leçons sur les plans organisationnel, décisionnel et culturel ? Évidemment !
C'est ce constat qui a motivé la création d'une commission d'enquête au sein de notre assemblée. Je tiens d'ailleurs à saluer l'ensemble des rapporteurs qui ont accompli un travail remarquable.
Ce rapport doit nous permettre d'identifier les dysfonctionnements et leur origine afin de faire de ces connaissances des sources de progrès. C'est de manière dépassionnée et rigoureuse que nous avons entrepris cette tâche, en nous gardant de juger le passé à la lumière de ce que nous savons aujourd'hui, mais en ayant un œil critique sur le déroulement de la situation.
C'est dans cet esprit que je partage majoritairement les différentes préconisations de nos rapporteurs. J'axerai mon propos sur quelques points, puisque le temps qui m'est accordé ne me permettra pas de balayer les centaines de pages et l'ensemble des préconisations du rapport.
Les travaux de la commission d'enquête ont tout d'abord mis en évidence l'impréparation et l'absence d'anticipation de l'État. C'est un constat largement partagé par la mission d'évaluation nommée par le Président de la République.
Quand l'épidémie s'est répandue sur le territoire français, nous nous sommes retrouvés démunis, à l'inverse de Taïwan, de Singapour et de la Corée du Sud, qui ont beaucoup appris de la pandémie du SRAS en 2003 et de la grippe A en 2009 et pour lesquels l'expérience du passé était déjà de se préparer à l'incertitude. Quoi qu'il en soit, le contexte culturel n'est pas comparable.
Cette impréparation s'est essentiellement illustrée au départ par un défaut de stratégie – tester, tracer, isoler –, mais également par une pénurie de protections individuelles et par une capacité de production quasi inexistante sur notre territoire. On ne trouve plus en effet sur notre sol de véritable filière industrielle de production, la dernière usine ayant fermé ses portes en 2018.
Pourtant, le Haut Conseil de la santé publique en 2011 comme Santé publique France en 2018 préconisaient la constitution d'un stock stratégique de masques qui, à l'instar des surblouses ou des gants, ont cruellement manqué aux soignants, aux professionnels des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les Ehpad, ainsi qu'aux aides à domicile, qui ont parfois rempli leur mission au péril de leur vie.
Le premier des engagements à prendre est, bien sûr, de sécuriser la gestion de nos stocks de masques, de médicaments, de vaccins. Cela doit passer aussi par la relocalisation de leur production à l'échelle européenne.
Nous aurions pu penser que cette impréparation de début de crise allait nous servir de leçon pour anticiper l'organisation de la vaccination. D'ailleurs, j'avais eu l'occasion d'alerter sur ce point au mois de novembre dernier lors d'une question d'actualité au Gouvernement. Pour autant, l'absence d'anticipation dans le recueil des consentements anticipés en Ehpad et sur la variation dans la stratégie de déploiement des centres nous a conduits à un démarrage vaccinal trop lent.
Aujourd'hui, la problématique est tout autre et c'est bien : bon nombre de nos concitoyens ne peuvent pas se faire vacciner en raison d'une trop forte demande, ce qui est une bonne nouvelle, et d'un stock limité de vaccins. Par ailleurs, certains centres sont fermés.
Les rapporteurs ont également pointé une communication institutionnelle protéiforme, qui n'a pas su résister aux polémiques. Il faut reconnaître que les avis divergents, voire contradictoires, du Gouvernement et du monde scientifique ont créé de la confusion, exacerbée par les prises de position successives des experts qui ont inondé nos chaînes d'information en continu. Dans un pays caractérisé par une grande liberté d'expression, comment faire mieux ? Je l'ignore…
Le discours confus du démarrage a conduit nombre de nos concitoyens à déserter, dès la mi-mars, les cabinets médicaux. J'avais, à l'époque, alerté le Premier ministre et l'ARS sur les effets délétères de communiqués inadaptés qui m'étaient remontés du terrain et qui ont mis un certain temps à être corrigés. Nous n'en mesurons pas encore aujourd'hui toutes les conséquences.
Enfin, cette pandémie a mis en évidence une faille dans notre mode d'organisation territorial trop centralisé, ce qui participe inexorablement à une lenteur dans la prise de décisions.
C'est ainsi que les alertes émises dès le mois de février dernier par la région du Grand Est, dont je suis issue, confrontée à une vague épidémique particulièrement brutale, sont restées sans réponse. L'État n'est intervenu que plus tard, une fois que la région était dépassée.
Le rapport préconise de définir les contours d'une gouvernance territoriale et d'une veille épidémiologique au plus près des réalités de terrain. C'est absolument nécessaire.
Faisons davantage confiance aux élus locaux et aux personnels soignants qui ont su faire faire preuve d'une grande agilité dès lors qu'ils étaient libérés des carcans administratifs. Une transformation en profondeur est attendue : elle devrait se faire, notamment dans le cadre du projet de loi 4D –différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification –, qui prévoit de renforcer la place des élus dans les futurs conseils d'administration de ARS.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Véronique Guillotin. À la fin du mois de décembre dernier, le président de l'OMS déclarait que la pandémie provoquée par le coronavirus ne serait pas la dernière. C'est pourquoi j'espère que nos débats ouvriront la voie à un nouveau départ, à une année zéro de la santé publique, que les rapporteurs appellent de leurs vœux.
J'ai confiance en la nature humaine et en sa capacité d'adaptation. Je reste optimiste quant à notre capacité collective à faire face à ce satané virus. D'ailleurs, la France, malgré les difficultés, n'est pas la plus mauvaise élève de l'Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
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