Débat sur la réforme des retraites
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en 1945, le Conseil national de la Résistance souhaitait déjà donner une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours. Bien plus qu'un acquis social, notre système de retraite par répartition incarne les valeurs humanistes chères au groupe RDSE et qui sont au cœur du pacte républicain.
Soixante-quinze ans plus tard, ce pilier de notre équilibre social est de plus en plus fragilisé par une évolution démographique défavorable et un déficit qui pourrait devenir important. Selon les prévisions du COR, le régime serait déficitaire de 8 à 17 milliards d'euros en 2025 et la trajectoire se dégraderait jusqu'en 2030.
Cette situation ne date malheureusement pas d'hier. En préface du Livre blanc sur les retraites, Michel Rocard rappelait : « Nous avons vis-à-vis des générations futures un devoir de lucidité et un impératif de solidarité. Nous leur devons des choix pour garantir leur avenir. » C'était en 1991…
Cela fait bientôt trente ans que les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, tentent d'apporter des réponses satisfaisantes – en vain ! Et cela fait plusieurs années que nos concitoyens, notamment les jeunes, sont particulièrement inquiets quant à l'avenir du système actuel.
Ce dossier est en instance depuis trop longtemps. Oui, une réforme de notre système de retraite est évidemment nécessaire. En effet, ne rien faire menacerait la pérennité de notre régime par répartition et hypothèquerait l'avenir des générations futures. On ne peut se permettre de faire peser sur ces générations tout le poids du financement de nos retraites ; cela ne serait pas raisonnable. Comme l'a récemment rappelé le président Jean-Claude Requier dans cet hémicycle, ne rien faire serait tout simplement irresponsable. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous n'ayons trouvé ni le temps ni les mots d'une réforme juste.
C'est pourquoi nous notons la volonté du Gouvernement de mettre en place un régime universel de retraite par points, tel que le Président de la République s'y était engagé pendant la campagne présidentielle. Le RDSE y est globalement favorable, mais pas unanimement, et l'a indiqué à plusieurs reprises dans cet hémicycle.
Toutefois, comme nous le rappellent nos concitoyens dans le cadre des grèves qui durent depuis plus d'un mois, la méthode du Gouvernement pose question et nous avons surtout besoin de plus de clarté sur le financement des futures retraites. Cette réforme ne doit pas être synonyme de rupture sociale ni de paupérisation des Français.
Oui, monsieur le secrétaire d'État, une réforme systémique est nécessaire et le souhait du Gouvernement de mettre en place un système qui repose sur trois grands principes – l'universalité, l'équité et la responsabilité – est honorable.
Ainsi, pour garantir la pérennité et l'universalité de notre système de retraite, il est souhaitable d'adopter un régime identique dans ses fondements pour tous les Français. C'est sans doute l'utilisation du terme « universel » qui crée autant d'incompréhension dans la population. Cependant, un système équitable doit permettre de mieux protéger nos concitoyens, en tenant compte notamment des périodes de maternité, des carrières heurtées ou de la pénibilité qui, pour nous, est un élément essentiel dont il faut tenir compte. À titre exemple, comment imaginer qu'un marin pêcheur doive travailler jusqu'à 64 ans, comme le suggère l'état actuel du projet du Gouvernement ? Dès lors, comment peut-on raisonnablement penser qu'un euro puisse ouvrir les mêmes droits pour tous ?
Par ailleurs, le pacte originel imaginé en 1945 par le Conseil national de la Résistance prévoyait le maintien des régimes spéciaux antérieurs pour une période provisoire. Le COR s'est lui-même interrogé à plusieurs reprises sur la simplification de notre système de retraite particulièrement complexe. Ainsi, votre projet d'alignement des régimes spéciaux semble s'inscrire dans cette logique historique, mais est-ce pour autant possible ?
Cette réforme suscite une réelle inquiétude, la défiance, le mécontentement et la colère d'une partie de nos concitoyens. Aussi, pour sortir de l'impasse, plusieurs secteurs ont obtenu des aménagements, voire le maintien de leur spécificité. Les régimes spéciaux laisseraient ainsi la place à des régimes « spécifiques », mais basés sur quelle universalité ?
Lors d'un débat sur la réforme des retraites à Rodez le 3 octobre dernier, le Président de la République avait affirmé qu'il n'accepterait aucune exception dans son futur régime universel de retraite. Et lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre, il a de nouveau rappelé que ce projet était un projet de justice et de progrès social, parce qu'il assurait l'universalité. Loin de toute intention de ma part d'opposer le secteur public et le secteur privé, n'est-il pas à craindre, au regard des adaptations qui semblent se dessiner, une fracture de notre pays qui verrait un régime universel s'adresser essentiellement aux salariés du privé ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)
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