Débat sur le thème le bilan des dispositifs de soutien aux territoires ruraux les plus fragiles
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Napoléon Bonaparte, dont la figure est particulièrement liée à notre institution,…
M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. Ça commence bien ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. … avait pour coutume de dire que la répétition est « la plus puissante des figures de rhétorique ».
Dans cet esprit, il ne vous aura pas échappé que le groupe du RDSE avait déjà organisé un débat similaire voilà maintenant deux ans.
Dans le contexte social que nous connaissons, la question rurale se pose aujourd'hui avec plus d'acuité et d'urgence encore : même dans une région comme l'Île-de-France, que l'on résume abusivement à Paris, elle se pose pour les départements de la grande couronne.
Alors que nous examinerons la semaine prochaine un texte majeur sur les mobilités, il apparaît indispensable de dresser un bilan de l'efficacité des dispositifs existants pour les territoires les plus fragiles, la mobilité n'étant que l'un des facteurs de leur attractivité. Car la diversité rurale est une réalité persistante du territoire français : avec 80 % du territoire et 20 % de la population, les campagnes se caractérisent par de fortes disparités, notamment s'agissant du dynamisme démographique et de l'activité économique. Ces territoires subissent toutefois des phénomènes universels, à commencer par le recul désastreux des services publics, mais aussi l'enclavement et les déficits médicaux ; ces trois blessures se sont aggravées ces dernières années.
Sur le papier, l'État a engagé de nombreux chantiers pour soutenir les territoires ruraux depuis une décennie. Je pense aux pôles d'excellence rurale, mais aussi aux pôles d'équilibre territoriaux et ruraux, les PETR, chers à notre collègue Raymond Vall ; ils ont été créés par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, la loi MAPTAM, de 2014 à la suite des pays. Songeons aussi à la dotation d'équipement des territoires ruraux, la DETR, subvention directe de l'État, qui s'élève à plus d'un milliard d'euros ; elle a été augmentée dans le projet de loi de finances pour 2018. Il faut évidemment également mentionner les zones de revitalisation rurale, les ZRR, créées en 1995 pour favoriser l'implantation d'entreprises dans les territoires les plus fragiles.
Il serait évidemment incorrect d'affirmer, comme certains ont pu le faire, que les pouvoirs publics n'agissent pas en faveur de la ruralité fragile. Le Sénat a notamment beaucoup mis en avant ces questions cruciales. Malheureusement, il faut bien constater que l'effort reste insuffisant. Les outils existants manquent parfois d'efficacité, de lisibilité et de simplicité dans leur gouvernance.
Il est d'abord regrettable que les gouvernements successifs aient fait le choix, à rebours complet de l'esprit de la décentralisation, de diminuer les ressources propres dont disposent les collectivités locales, au bénéfice de dotations étatiques, comme la DETR ou la dotation de solidarité rurale, la DSR, sur lesquelles elles ont moins de visibilité et de capacités de contrôle.
L'exemple de la DETR est, à ce titre, assez éloquent. Comme l'a montré notre collègue Loïc Hervé dans son rapport annexé au projet de loi de finances pour 2019, les commissions départementales d'élus n'ont qu'un droit de regard assez limité sur les décisions d'attributions de subventions prises par le représentant de l'État. En atteste la faiblesse relative du nombre de dossiers qu'elles sont amenées à traiter par rapport au total.
Lors de la Conférence nationale des territoires du mois de juillet 2017, le Président de la République avait à juste titre rappelé la nécessité de mettre en œuvre un véritable « pacte girondin », en rapprochant la décision au plus près des territoires. Dans les territoires ruraux concernés, ce sont d'abord les élus municipaux qui font le lien avec nos concitoyens. Il nous paraît donc justifié de favoriser leur montée en puissance dans la maîtrise des subventions, par exemple en renforçant leur contrôle sur la répartition des dotations d'investissement. Il ne semble toutefois pas que cette option soit une priorité, puisqu'une instruction du 9 mars 2018 indique que la DETR a désormais vocation à financer les priorités du Gouvernement !
Nous pensons qu'il convient de faire preuve de cohérence : si nous voulons mettre en œuvre un nouvel acte de la décentralisation, comme cela a été suggéré par le chef de l'État, il est indispensable que les moyens législatifs et financiers soient mis à disposition des collectivités, à commencer peut-être par une réduction des écarts de dotation globale de fonctionnement, ou DGF, par habitant. Le contexte actuel et la confiance renouvelée de nos concitoyens envers leur maire le prouvent aisément.
Or les outils existants ont besoin d'être renforcés pour être efficaces. C'est notamment le cas des PETR, qui permettent à plusieurs établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, à fiscalité propre de s'unir autour d'un projet de territoire partagé par les élus et les acteurs du développement local. Ces territoires structurés offrent une réelle souplesse. Ils sont un outil pertinent pour le développement des territoires, appréciés des élus locaux. Des améliorations pourraient être apportées, afin de renforcer la solidarité entre le rural et l'urbain et d'instaurer un dialogue équilibré avec les métropoles ou les communautés urbaines.
Ne l'oublions pas, lorsqu'il s'agit de soutenir la ruralité fragile, les EPCI doivent être vus comme un outil pour développer les services de proximité. Pourtant, une étude de l'Ifop du mois de novembre 2018 intitulée Les Français et leur maire a montré toute la désillusion que pouvaient entretenir les élus municipaux, notamment ruraux, à l'égard d'EPCI, considérés comme excessivement centralisateurs au détriment de la commune. Nous pourrions ici reparler de tout le mal que nous pensons de la loi du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, mais ce débat n'y suffirait pas. Injecter de la souplesse dans la gouvernance des structures comme les PETR pour favoriser une verticalité vertueuse nous semble être une priorité absolue, par exemple en les faisant évoluer en syndicats mixtes ouverts.
Cette problématique se pose également pour les fonds européens. C'est le cas du Fonds européen agricole pour le développement rural, le Feader, ou du Fonds européen de développement régional, le Feder, auparavant gérés par l'État, et transférés en 2014 aux régions. Si la force de frappe financière de ces dernières est indéniable, leur rationalisation en 2015 a eu pour effet d'éloigner les centres de décision et la visibilité des élus sur la manière dont ils pourraient en bénéficier. À ce titre, il pourrait être intéressant de réhabiliter le département, indispensable échelon de proximité dans le soutien aux territoires ruraux, tout en favorisant le droit à l'expérimentation.
Dans la continuité de ces considérations, il nous paraît également nécessaire d'obtenir enfin un bilan clair et objectif de dispositifs, comme les zones de revitalisation rurale ou les contrats de ruralité, dont l'existence est évidemment vitale, mais dont l'efficacité est pour le moins contrastée.
Par exemple, le zonage actuel des ZRR, prévu par la loi de finances rectificative pour 2015 et établi par arrêté en 2017 sur une base intercommunale, mérite d'être totalement revu. En l'état, il aboutit à exclure des communes du dispositif non pas parce qu'elles n'ont plus de difficultés, mais simplement parce que leur intercommunalité dans son ensemble ne remplit plus les critères. Voilà une absurdité à laquelle il faudrait mettre fin !
Une autre question fondamentale est celle du nombre de communes. Est-il efficace de diluer le dispositif sur 15 000 d'entre elles, au risque de diluer l'action publique par un effet de saupoudrage ? Ne vaudrait-il pas mieux concentrer les actions sur ce que notre collègue Alain Bertrand appelle très justement l'« hyper-ruralité » dans son précieux rapport de 2014 ?
Oui, l'amélioration de ces mécanismes implique sans doute de réfléchir à l'instauration d'un contrat unique qui éviterait de multiplier les outils de contractualisation avec l'État !
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